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ne trouvent chez nous une indulgence attendrie… Et ce travail, tant de richesses déjà acquises, on les sacrifierait pour la « grande idée » de la race ; tant de vies laborieusement rappelées ou créées, on les jetterait dans la fosse commune du panslavisme moscovite !… Ou bien est-ce sérieusement que les Tchèques, les Slovaques, les Croates, se flattent de pouvoir conserver leur nationalité, leur autonomie, leur individualité propre dans le « céleste empire des tsars ? » L’exemple de la Pologne ne leur a-t-il donc rien appris ?

La Pologne est une nation slave bien autrement et plus fortement constituée que tel de ses peuples-frères des bords de la Sawa ou de la Weltawa. Sa chute ne date pas de la Montagne-Blanche ou de Kossovo, du XVe ou du XVIe siècle, et après sa chute même la Pologne n’a pas cessé de vivre de la vie européenne, de participer aux victoires et aux revers de l’humanité active et militante, « de disperser son existence sur tous les carrefours du monde, » comme l’a dit dédaigneusement le prince Tcherkaskoï. Pour montrer un passé antique et glorieux, elle n’a pas besoin de déterrer quelque chronique poudreuse, elle peut en appeler aux plus grandes pages dans les annales de la république chrétienne ; pour faire preuve d’une littérature originale et d’un génie bien à elle, elle n’a que faire du fragment de Libussa et du manuscrit de Kralodvor : elle a eu un Copernic, un Skarga, un Kochanowski, hier encore elle avait Miçkiewicz, Slowaçki et le poète anonyme… Eh bien ! à cette sève nationale, puissante et vivace comme elle ne le sera jamais chez les compatriotes de MM. Rieger et Polith, la Pologne n’a dû qu’une agonie, plus lente et plus douloureuse dans les étreintes de la sainte Russie. Que peuvent donc espérer les hysopes du mur, là où le cèdre du Liban a été rongé et abattu ?… Quel avertissement aussi pour les Slaves d’Autriche dans ce congrès de Moscou, dont pourtant ils sont revenus si heureux ! Le premier pas vient à peine d’être fait, on n’est encore qu’aux préliminaires d’une entente purement spéculative et morale, et déjà pour condition préalable de toute alliance on leur impose le russe comme langue commune et littéraire, on demande à chacun des peuples-frères le sacrifice de son idiome propre, de ce qui constitue la plus grande part de sa nationalité ! Pourquoi alors tant maudire les farouches vainqueurs de la Montagne-Blanche et leur éternellement reprocher la destruction de l’ancienne littérature tchèque ? Et ce ne sont là que les premiers serremens des « liens » encore tout moraux ! Que sera-ce donc alors que ces liens seront devenus un peu plus matériels, et que « l’idée » aura enfin été réalisée ?

Nous savons bien la réponse que font les meneurs de Prague à