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qui étaient demeurés inextricables pour Champollion et ses successeurs immédiats. La sûreté de ces traductions a reçu une confirmation éclatante par la découverte faite il y a un peu moins de deux années d’une grande inscription bilingue dans les ruines de Sân. Cette inscription, qui remonte au règne de Ptolémée III (Évergète Ier) et date de l’an 238 avant notre ère, aurait été d’un prix inestimable, si la découverte en avait eu lieu il y a cinquante ans ; elle eût épargné à Champollion bien des tâtonnemens et des erreurs. Aujourd’hui elle a peu ajouté à ce que nous savions de la langue égyptienne. On se serait aisément passé du texte grec pour la traduire ; mais ce pendant de la pierre de Rosette a l’avantage de donner aux incrédules, s’il en reste encore, la preuve irrécusable que l’égyptologie est une science positive, car les mots grecs correspondant aux divers groupes de signes hiéroglyphiques justifient d’une manière décisive les sens auxquels l’étude des textes égyptiens avait conduit.

Le fait qui se dégage chaque jour avec plus d’évidence des informations de toute sorte fournies par des monumens embrassant une suite de plus de trente-cinq siècles, c’est que la civilisation et l’art remontent sur les bords du Nil à des temps antérieurs à toute histoire, que l’Égypte fut dès l’origine coulée dans un moule qui s’est altéré à peine avec les âges, et que durent respecter les conquérans étrangers qui parvinrent à y établir leur domination. Ce moule fut celui d’une monarchie théocratique qu’on ne trouve nulle part ailleurs plus fortement conçue, plus solidement assise, et qui transforma le pays en un vaste organisme religieux où tout gravitait autour du roi, image visible de la Divinité, où l’individu s’effaçait pour ne faire place qu’à une idée, celle de perpétuer ici-bas le culte des dieux, dont le pharaon est l’élu, l’incarnation et le mandataire. Cette vérité historique, nous allons la suivre dans ses détails et la vérifier sous différentes formes en contemplant les monumens réunis par M. Mariette dans le Champ de Mars, et en prenant pour guides les dernières publications auxquelles la science égyptologique a donné lieu.


I

Longtemps on fut enclin à supposer que les listes de rois que nous a laissées Manéthon n’avaient, au moins pour les dynasties les plus reculées, aucune réalité historique ; les monumens ont donné plus que raison à l’écrivain égyptien en démontrant que, bien loin d’avoir surchargé son tableau de pharaons imaginaires, il en avait passé plusieurs dont on retrouve les cartouches et les légendes. On ne possède, il est vrai, aucun monument antérieur à la IVe