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l’histoire s’accroît démesurément, l’imprévu s’amoindrit et finit par disparaître. Ce qui a été devait être pour telles et telles raisons ; avec cette formule on explique tout. Rien ne semble plus engageant, rien aussi n’est plus périlleux que cette rigueur scientifique. Elle plaît parce que l’ordre même factice et la clarté même incertaine nous séduisent d’abord, puis cela sent son philosophe et son grand esprit, et le lecteur est de moitié dans cette satisfaction ; mais, si ces procédés marquent une puissance intellectuelle que nous ne prétendons pas contester, ils ne sont pas moins, si l’on y réfléchit, une preuve de la faiblesse de l’intelligence humaine, et ils appellent constamment le contrôle et la vérification. Lorsque le bon sens qui se défie et qui regarde de près a prononcé, alors seulement il y a des jugemens acquis, et l’on s’aperçoit que l’imprévu reprend sa place dans l’histoire. Voilà aussi le caractère des résultats auxquels on parvient après une lecture attentive de MM.. Buckle et Burton sur l’histoire d’Ecosse. Quoique M. Burton soit certainement un penseur en même temps qu’un historien, l’ambition d’être un grand esprit et un philosophe est plutôt du côté de Buckle, et nous ne disons pas que cette ambition ait été tout-à-fait déçue. Le rôle du bon sens, que M. Burton s’est réservé, n’est pas le moins beau. Son patriotisme écossais ne lui a pas été d’un petit secours, et il me semble en général être arrivé à ce qu’on peut regarder comme des jugemens acquis.

De Buckle à sir Francis Palgrave, il y a la distance d’un philosophe à un archéologue. M. Palgrave a pourtant son système, seulement il n’aspire nullement à faire de l’histoire quelque chose de fixe et de déterminé, obéissant à l’historien comme à la Providence même et craignant de se montrer rebelle à celui qui possède le secret de son mystérieux organisme. Beaucoup plus sobre et plus circonscrit, beaucoup plus Anglais, M. Palgrave se contente d’une idée particulière et personnelle dans un livre. Certains politiques à idée fixe bien connus chez nos voisins, sans prétendre avoir une théorie complète de gouvernement, professent, par exemple, le scrutin secret, font des motions pour le scrutin secret, ne diffèrent de la masse des membres des communes que par le dévouement au scrutin secret. C’est leur idée, et voilà tout. De même M. Palgrave a une idée sur l’histoire de la Grande-Bretagne : c’est la suzeraineté d’un roi, d’un lord supérieur aux autres chefs contemporains. On peut, avec une idée fixe de ce genre, être aussi profondément savant qu’honnête homme, et malgré son paradoxe M. Palgrave ménage sans cesse à ses lecteurs les plus curieuses trouvailles d’archéologie. Autrefois la prétendue suzeraineté de l’Angleterre sur l’Ecosse était un moyen de domination pour la première, un grief sanglant pour la seconde, une source de divisions et de haines