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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/219

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entre les deux. Ainsi le parlement anglais, exhumant au commencement du siècle dernier des chartes forgées qui établissaient le vasselage de l’Écosse, poussait aveuglément le parlement écossais à la séparation. Aujourd’hui la suzeraineté de l’Angleterre n’est qu’un argument pour un archéologue ; M. Palgrave en a besoin, et il ne s’en fait faute. En vertu de son thème favori sur une imitation de l’empire romain, qui aurait succédé à ce même empire au moins dans les îles britanniques, il lui faut une succession de chefs bretons suprêmes ou bretwaldas. Ces chefs bretons se seraient appelés du nom tantôt d’imperator, tantôt de basileus. Quand il y en a plusieurs à la fois, c’est à cause de la multiplicité des prétendans ; quand il en manque, M. Palgrave suppose des lacunes dans l’histoire. Naturellement ces chefs suprêmes ont toujours été Anglais. Ont-ils régné à la fois sur le Danemark et l’Angleterre, comme Canut le Grand, ils sont portés au compte de l’Angleterre, non du Danemark. Se rencontre-t-il un basileus en Écosse, c’est autre chose ; ce n’est plus un chef breton suprême, un bretwalda, c’est un prince ambitieux qui aspirait à être bretwalda. Si Guillaume de Normandie envahit l’Angleterre, il n’y a pas de difficulté, le titre de bretwalda, auquel il n’a jamais songé de sa vie, fait partie de sa conquête. Il le lègue sans le savoir à ses descendans, et lorsqu’un Edouard Ier se fait déclarer lord supérieur par les compétiteurs à la couronne d’Écosse, il ne fait que régulariser une position datant de huit siècles. On voit combien le vasselage primitif de l’Écosse était nécessaire à sir Francis Palgrave. La question n’a pas le même danger qu’il y a cent cinquante ans. On ne s’en est pas ému au nord de la Tweed plus qu’il ne convient. Cependant M. Burton, en entrant dans la carrière, a rencontré tout d’abord ce champion de la cause adverse, et le combat qu’il engage avec lui marque aussitôt le but de son expédition.

Écossais par le cœur comme par la tendance de ses écrits, tel est donc le premier trait, le plus saillant et le plus vif, de la physionomie de M. Burton. Le second, qui n’est guère moins frappant, est un tour d’esprit de légiste, un ensemble d’habitudes judiciaires qui s’accusent en maint endroit, surtout pour un lecteur peu accoutumé à trouver dans la peinture du passé l’instruction de véritables procès accompagnée d’analyses et de comptes-rendus méthodiques. On nous permettra d’insister sur cette manière d’écrire l’histoire, fort éloignée du goût français. Ces habitudes judiciaires convertissent l’histoire en tribunal et le public en jury. Ne les confondez pas avec la pratique intéressée de l’avocat plaidant, qui n’est rare en aucun pays, même entre personnes étrangères au barreau. Écrire l’histoire pour le besoin d’une cause est un péché favori, je le crains bien, sous toutes les latitudes. Pour prendre un exemple dans