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notre sujet même, combien de plaidoyers n’ont pas fait écrire la vie et la mort de Marie Stuart ! Les habitudes judiciaires dont je parle, et qui paraissent rarement dans nos historiens, ne sont pas seulement des discussions de droit écrit et de textes de lois ; ce sont encore des controverses, des examens du pour et du contre à propos des choses et des personnes. Ces amples informations auraient chez nous deux écueils, l’impatience du lecteur et le soupçon de vouloir faire étalage du soin qu’on s’est donné. Il y a quelques semaines, on lisait ici même[1], dans une étude signée d’un grand maître, en quelles dispositions d’esprit M. de Barante préparait une histoire du parlement de Paris, un riche sujet pour la discussion. Il lisait tout, mais avec l’intention de ne pas se faire honneur de ce qu’il avait lu. Parcourez notre école historique, combien trouverez-vous d’analyses de débats complets ? Même lorsqu’elle prend sous sa protection les vieux légistes du moyen âge, elle professe je ne sais quel dédain pour le légiste, et lorsqu’un historien français l’a été, avant d’écrire il a eu soin de dépouiller plus ou moins la toge, comme Montesquieu.

Notre double préjugé contre les longs débats introduits dans l’histoire est peu partagé par nos voisins. L’impatience du lecteur britannique, outre qu’elle est étrangère à son tempérament, est moins à redouter dans ce genre d’écrit qu’en tout autre. Il y a longtemps que lord Clarendon, le premier en date et en dignité, a fait contracter à l’histoire anglaise le goût de marcher lentement et majestueusement, accompagnée d’un gros bagage de dépêches et de documens officiels. Quant au soupçon qui pèserait sur l’écrivain d’étaler sa peine et son labeur, il ne vient pas à la pensée d’un public qui ne prétend pas comme le nôtre n’avoir pour lui que le plaisir, qui ne se hâte pas de donner gain de cause à celui qui plaît davantage, et qui se résigne à être moins vite au fait afin d’être mieux en mesure de se décider par lui-même. La multiplicité des détails où il est entraîné par des habitudes judiciaires n’est donc pas ici un écueil pour l’historien, qui puise encore dans ces habitudes un discernement précieux. Connaître les affaires est sans doute la grande condition pour écrire l’histoire. — Gibbon siégea au parlement et vécut dans l’intimité de certains hommes d’état français. Hume était sous-secrétaire d’état après avoir été secrétaire de légation. Un puissant parti ecclésiastique de l’Ecosse reconnut pour chef Robertson, qui le gouverna. Les fonctions d’orateur parlementaire, de gouverneur de l’Inde et de payeur-général n’ont pas été inutiles à Macaulay. Ces grands historiens toutefois n’ont pas toujours été curieux des choses petites ou peu connues

  1. Voyez la Revue du 1er juillet.