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docilité aux excitations des propagandes russes. On devrait en effet se garder des déviations de patriotisme dont quelques braves gens nous donnent le spectacle au sujet de la question d’Orient. Il est d’un intérêt palpable pour la France que l’Orient ne soit point livré à l’influence russe et à des luttes sanglantes. Ceux qui chez nous encouragent l’anarchie des soulèvemens chrétiens contre la Turquie nuisent, sans qu’ils aient l’air de s’en douter, à un intérêt français de premier ordre et jouent la partie de nos ennemis. Les chrétiens orientaux ne méritent pas les sympathies enthousiastes que quelques-uns leur témoignent, et il y a peut-être un fanatisme qui ne devrait point être de notre siècle dans la politique déclamatoire qui ne craint pas de demander ou l’extermination ou l’expulsion en masse de plusieurs millions de Turcs établis en Europe. Aux efforts de dissolution qui s’acharnent sur l’Orient, la France, l’Autriche, l’Angleterre, devraient opposer une politique concertée et forte.

Pour faire en politique un voyage de santé, il faut aller en Amérique. Les formes de gouvernement et les luttes de partis produisent aux États-Unis des accidens bien faits pour scandaliser les têtes sages et disciplinées de notre hémisphère. Un président qui travaille à contrecarrer le parti qui l’avait porté au pouvoir, un chef de pouvoir exécutif en lutte avec les assemblées délibérantes, les attaquant sans cesse et constamment réduit par elles à l’impuissance, ces façons bourrues et violentes dans les rapports de l’exécutif et du pouvoir représentatif, si étranges qu’elles puissent paraître aux Européens, ont un air de force saine et sont l’intéressante parade d’un peuple plein de sève. La lutte que le président Johnson et le congrès avec sa majorité radicale soutiennent l’un contre l’autre a des péripéties qui éclatent même dans l’intervalle des sessions. On se souvient que le congrès a renversé les projets de reconstruction que Johnson avait conçus en faveur des états du sud qui avaient tenté la rupture de l’union par la guerre civile. Ces projets, trop favorables aux états du sud, n’assuraient point une suffisante garantie à la cause de l’Union américaine. Furieux de la résistance du congrès, Johnson employa contre les actes du sénat et de la chambre toutes les prérogatives du pouvoir exécutif. Il opposa son veto à toutes les mesures touchant à la reconstruction du sud adoptées par le congrès ; mais aux États-Unis le chef du pouvoir n’a qu’un veto suspensif qui tombe devant une certaine proportion des voix de la majorité dans les chambres. Les veto du chef de l’exécutif échouèrent presque tous contre l’inflexible ténacité de la majorité radicale du congrès. La supériorité du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif fut établie d’une façon irréfragable. Depuis les vacances du congrès, Johnson a cherché ailleurs ses moyens de vengeance contre les radicaux. Il a exclu de leurs emplois plusieurs fonctionnaires élevés, militaires ou civils. Il a demandé d’abord sa démission à M. Stanton, le ministre de la guerre de M. Lincoln.