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phénomène très nouveau et du plus haut intérêt, le germe d’un progrès immense. Quel sacerdoce païen, quelle école grecque, furent jamais pour le peuple ce que les scribes furent pour leurs compatriotes ? L’enseignement démocratique doit remonter jusque-là pour trouver ses origines. L’école populaire et le ministère évangélique viennent des scribes.

Un trait caractéristique de leur méthode primitive fut leur répugnance prolongée à confier leurs travaux à l’écriture. Ils copiaient la loi, mais leur mischna[1], à leurs yeux si nécessaire, se transmettait par voie de tradition orale. Il est vrai que dans l’antiquité on ne se pressait pas d’écrire. Peut-être pensaient-ils que ce travail de rédaction était inutile, vu l’apparition prochaine du règne messianique, et une habitude une fois prise devient vite sacro-sainte dans ce singulier monde. Peut-être aussi se joignait-il à ce motif le sentiment que leurs productions ne seraient pas dignes de figurer à côté des livres écrits par Moïse et les prophètes. Ils se sentaient inférieurs aux grands inspirés d’autrefois ; eux-mêmes déclaraient que, depuis les jours de Zacharie, l’esprit de Dieu ne s’était plus communiqué à Israël. Ce qui est certain, c’est que cette méthode rendait leur enseignement pénible et long ; elle prêtait aussi à l’arbitraire. Qui empêchait un rabbi d’antidater quelque sentence de son cru, de l’attribuer à quelque docteur des temps passés ? et comment prouver l’erreur ou le mensonge ? Les sadducéens, dont nous avons décrit la tendance essentiellement politique, n’aimaient guère les scribes, bien qu’ils en comptassent aussi quelques-uns dans leurs rangs. Ils les accusaient d’avoir sans droit aggravé et même dénaturé les prescriptions légales, et disaient qu’il fallait s’en tenir purement et simplement à la loi écrite sans se préoccuper de tout ce fatras de commentaires subtils. Rien ne prouve mieux que cette controverse combien la fidélité à la loi était l’axiome commun à tous les partis juifs. Il est vrai que les scribes, généralement pharisiens, embarrassaient beaucoup les sadducéens lorsqu’ils les mettaient au défi de se prononcer, sans manquer à leur principe, dans les cas à chaque instant renouvelés où l’application de la vieille loi demeurait indécise tant qu’on n’avait pas consulté le midrasch et la halacha. De plus, à cette étude perpétuelle de la loi se mêlaient des réflexions théologiques sur l’essence de Dieu, la création, le règne messianique, la vie future, spéculations et nouveautés que les sadducéens, avec leur esprit conservateur,

  1. On distinguait dans l’œuvre des scribes le midrasch ou étude attentive de la loi, la halacha, explication de cette loi, l’agada, commentaire ou amplification libre de la halacha, enfin la mischna, fruit de ces diverses branches d’étude, loi orale qui ne tarda pas à être entourée de la même vénération que la loi écrite.