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n’abondèrent que trop dans ces défauts de leur profession ; mais il faut bien se dire que leur travail fut très sincère, très sérieux, et que le peuple auquel ils s’adressaient, bien loin de s’impatienter contre eux, leur obéit du mieux qu’il put. La « doctrine de la loi » fut donc la doctrine par excellence, la seule qu’on recherchât, celle qui tenait lieu de tout. Tandis que le titre de nâbi était tombé en discrédit, celui de rabbi ou maître fut honoré entre tous et préféré même à celui de prêtre, bien qu’en vertu de la loi la caste sacerdotale continuât de remplir seule les fonctions essentielles du culte. Ce culte sacerdotal était concentré à Jérusalem, et le scribe au contraire, son exemplaire de la thora à la main, allait partout, se glissait partout, s’adressait à tous, et trouvait à chaque sabbat dans la synagogue un auditoire docile dont les membres en majorité ne voyaient tout au plus le clergé qu’une fois par an. Il faut un peu se défier, pour juger les scribes, de la mauvaise réputation qu’ils doivent au Nouveau Testament. Jésus lui-même emploie plus d’une fois le nom de scribe en très bonne part, et les juger uniquement d’après l’opposition inintelligente, mais en quelque sorte commandée par leur principe même, qu’ils déclarèrent à l’Évangile, serait aussi injuste que d’étudier l’histoire des ordres monastiques uniquement dans les annales de l’inquisition ou dans les virulens pamphlets du temps de la réforme. Leurs défauts, et sans doute ils en eurent de fort graves, ne furent pas pour la majorité du peuple hébreu ce qu’ils sont pour nous. Encore aujourd’hui les auteurs juifs dont nous mettons à profit les recherches, bien que très dégagés des vieilles étroitesses judaïques, ne parlent des vénérables rabbis des anciens temps qu’avec une piété filiale qui leur voile peut-être à eux-mêmes les côtés parfois un peu niais, quand ils ne sont pas insupportables, de ces casuistes du judaïsme. Ceci surtout doit se dire de M. Grætz, qui nous promène très longuement dans le jardin des sentences, médiocrement ingénieuses et d’ordinaire très prosaïques, semées et cultivées par ses maîtres de prédilection. Il faut une véritable grâce d’état pour partager toutes ses admirations ; mais encore une fois nous faisons de l’histoire plus que de la critique. En s’appuyant sur les ouvrages de ces savans juifs eux-mêmes, historien du christianisme a le droit de penser que la classe des scribes, au temps de Jésus, méritait trop souvent les reproches qui lui sont adressés dans les évangiles, mais l’historien du judaïsme ne saurait nier ni leur influence toute-puissante, ni leur popularité prolongée, ni leur mérite particulier. Il ne faut pas contester que la constitution d’un corps enseignant, en dehors de toute idée de caste, librement recruté, propageant son savoir dans toutes les classes de la population, ne soit dans l’antiquité un