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nombreux dattiers fournissent une base d’alimentation.irréprochable. Il entre après un noviciat rigoureux dans l’association, où le costume, le vêtement, le travail, les repas, tout est réglé par des supérieurs purs entre les purs, et auxquels il promet par serment une obéissance absolue ; aussi doit-il faire abandon de tous ses biens entre leurs mains. Il est vêtu de lin blanc, comme un prêtre à l’autel ; il doit prendre tous les jours un bain de purification et ne manger que des mets apprêtés par les membres servans de la communauté. Le repos observé le jour du sabbat réalise tout ce que le pharisien le plus strict peut désirer. Tout est donc prévu pour que, ni dans les hommes qu’il fréquente ni dans les objets qu’il manie, l’essénien ne coure risque de se souiller. C’est pour la même raison qu’il est célibataire, le contact des femmes, même dans l’état de mariage, entraînant trop souvent des conséquences fatales à la pureté légale. Il pousse la pruderie dévote jusqu’à s’abstenir de se rendre au temple pour sacrifier ; on y rencontrerait des prêtres sadducéens, et la manière dont on y célèbre les rites n’est pas toujours conforme à la légalité ponctuelle : les esséniens envoient donc leurs offrandes par des intermédiaires. Ce qui achève de démontrer que l’essénisme n’est pas autre chose, comme l’a fort bien dit M. Grætz, qu’une excroissance du pharisaïsme, c’est qu’outre les esséniens du désert il y en a aussi dans les villes, mariés, trafiquant avec les autres hommes, sorte de tiers-ordre moins assujetti à la rigueur des règles imposées à la communauté proprement dite, soumis néanmoins à un genre de vie très sévère et servant de lien visible entre l’essénisme et le pharisaïsme ordinaire. Nous en aurions encore long à dire, si nous voulions énumérer leurs bizarreries et leurs scrupules. S’imaginer que le mouvement chrétien, si indépendant à l’origine des formes dévotieuses, si ferme dans son affirmation que rien d’extérieur ne souille l’homme, si antipathique aux pharisiens par son insouciance à l’égard du boire et du manger, des ablutions et du sabbat, s’imaginer que l’Évangile soit issu de ce cénacle de pieux radoteurs, c’est à peu près comme si, sous prétexte de quelques points de vue communs, on faisait sortir la philosophie du siècle dernier de ces conventicules de convulsionnaires où le jansénisme vint si piteusement mourir[1].

  1. Qu’il me soit permis de renvoyer ceux qui aimeraient à en savoir plus long sur ce point à un travail spécial qui a paru récemment dans la Revue de Théologie de Strasbourg. Je me borne à rappeler ici, pour éviter tout malentendu, que, pour apprécier sainement la vraie nature de l’essénisme, il convient de distinguer entre les principes de pureté légale qui, pour être réalisés, amenèrent les esséniens à se constituer en une sorte de communauté monastique, et les conséquences que cette constitution une fois adoptée, entraîna là comme partout, par exemple l’absence de propriété individuelle, l’autorité absolue des supérieurs, la possession prétendue de secrets médicaux ou magiques, enfin l’idée que l’intérêt de l’ordre prime tout le reste. C’est une distinction qu’on ne fait jamais, et de là bien des erreurs. L’historien Josèphe est fort incomplet et inexact dans la description qu’il fait de l’association essénienne, dont il ne parait pas même avoir compris le principe essentiel. Le sens du nom essénien est obscur et contesté. Parmi les interprétations diverses dont il est l’objet, nous penchons pour celle que propose M. Jost, qui croit y retrouver le sens de taciturne, mystérieux, par allusion au silence qui régnait dans les assemblées de la secte et peut-être aussi aux secrets médicaux ou théurgiques incommunicables dont on la croyait en possession.