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allusion assez lugubre, « la cellule des condamnés, » et nonobstant le danger qu’on y bravait, la gaîté y était en permanence quand Wilmot, rassuré par quelques heureux symptômes sur le compte de sa malade, y portait l’originalité de son savoir bon-enfant, la verve de son élégance naturelle, l’attrait persuasif de sa parole sans fard.

Lady Muriel trouvait parfois des prétextes pour passer une heure ou deux dans ce petit cénacle ; parfois aussi et plus fréquemment Wilmot était admis, au retour de ses promenades quotidiennes, dans le salon ou la châtelaine trônait, — tantôt seule, tantôt en compagnie, — aux heures qui précédaient le dîner. Il y était reçu avec des prévenances assez marquées, et peut-être se fût-il aperçu dans d’autres circonstances que sa noble hôtesse était en quelque façon sous les armes chaque fois qu’il se présentait ainsi devant elle ; mais il fallait pour deviner ceci ou beaucoup de fatuité ou une singulière clairvoyance, car lady Muriel, d’une recherche exquise en ses élégances, avait grand’peine à se montrer mieux mise que d’ordinaire. Ce qui est certain, c’est qu’avec lui la grande dame désapprenait l’ennui, son mal le plus habituel et l’unique expiation de sa belle et riante existence. A force d’entendre et de répéter les mêmes phrases, prévues et convenues, elle en était arrivée à ne plus écouter les autres, à ne plus s’écouter elle-même ; Wilmot, avec ses idées à lui, son style original et pittoresque, ne la laissait pas dans cette sorte de végétation automatique dont elle avait pris l’habitude. Il fallait bon gré mal gré lui prêter attention. Il ne se contentait pas non plus de banalités plus ou moins déguisées, et ne se gênait pas pour échapper par quelque tangente inattendue à la discussion insignifiante dans le cercle de laquelle on aurait voulu l’enfermer. Il exigeait une pensée sous chaque parole, et par cela seul, se distinguant du commun des martyrs, il se donnait sans le vouloir un relief de sauvagerie que la dame de Kilsyth, avec cette sûreté de tact qui la caractérisait, avait apprécié comme un signe de supériorité.

On sait déjà quelles questions s’étaient offertes à son esprit certain soir où, dans les mains de son adroite soubrette, elle songeait en même temps à Madeleine et à Wilmot. Un esprit comme le sien, lorsqu’une fois il tient une piste, ne l’abandonne pas aisément. Aussi voulut-elle avoir le cœur net de ses soupçons relativement à la jeune malade, et il ne lui fallut pas de grands efforts d’observation pour s’assurer que chez celle-ci en effet la reconnaissance avait pris un caractère de véritable tendresse. Chudleigh Wilmot personnifiait, pour celle qui allait lui devoir la vie, tout ce que les femmes préfèrent ici-bas : la bonté mêlée de force, le dévouement,