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à discourir de toute chose et du reste, plus promptes à parer ou à lancer l’épigramme ; en revanche, on n’en aurait pas trouvé cinq chez qui existât au même degré la juste conception des réalités : humaines et qui missent un jugement plus sûr au service d’un caractère plus égal. Pas plus qu’à une autre il ne lui était donné de tout voir et de tout comprendre, mais il lui arrivait rarement de mal voir, ou de comprendre mal ce qu’elle avait vu. Chimères, illusions, étaient bannies de ses conseils intimes, mais non de ses causeries d’apparat, pour lesquelles elle tenait en réserve tout un répertoire de nobles sentimens, de pompeuses maximes, de magnifiques lieux communs, débités le plus couramment du monde, avec des modulations du dernier goût et des variantes merveilleusement appropriées au besoin des circonstances. N’allez pas croire à de l’hypocrisie. Cette grande dame en était incapable de propos délibéré. Il ne lui serait jamais venu en tête de tromper qui que ce fût, mais vis-à-vis de tout le monde elle se sentait parfaitement à l’aise, car si elle mettait en circulation pas mal de fausse monnaie, elle en avait préalablement reçu tout autant, peut-être plus, il n’y avait donc qu’une balance à établir. Elle appréciait les avantages de sa position sociale, et les abdiquer lui eût semblé aussi absurde que d’en faire étalage. Pour le mari qui les lui avait donnés ou conservés, elle éprouvait une reconnaissance tranquille, une affection raisonnée, sans aveuglement ni enthousiasme. Elle le voyait ce qu’il était : un peu vieux pour elle, plus chasseur qu’elle ne l’eût voulu, sujet à des redondances de style, à des redites de narration, qui ne l’empêchaient pas d’être un excellent et digne homme. Certainement il lui préférait sa fille aînée ; mais on pouvait le lui pardonner, puisque Madeleine, de son côté, lui avait laissé jusqu’alors la première place dans son cœur. — L’a-t-il dans le mien ? se demandait en toute sincérité lady Rilsyth, et cette question loyale évoquait immédiatement deux fantômes : celui de Stewart Caird, enveloppé de son drap mortuaire, celui du docteur Wilmot, que décidément Muriel trouvait fort à son gré.

Sa personnalité bien accusée contrastait avantageusement avec le fonds plus ou moins banal des hôtes assez peu nombreux que la maladie contagieuse de Madeleine n’avait pas mis en déroute et chassés de Kilsyth. Duncan Forbes, le plus animé, le plus élégant de tous, cédait sans conteste au docteur la palme et le dé de la causerie. Bien mieux, il l’allait chercher chaque fois qu’il n’avait pas à craindre d’être importun, et l’entraînait avec lui dans une pièce à part, sur la limite du « cordon sanitaire, » où se réunissaient volontiers ceux des habitans du château que la chasse ou la pêche n’avait pas attirés au dehors. On appelait ce petit salon, par une