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de trouver un peu gourmée, il sentit que le sang lui montait au, visage et n’aborda qu’avec une extrême réserve le sujet qui ramenait. Chargé par M. Kilsyth d’apporter à Ronald certains papiers d’affaires qu’on l’avait prié de remettre le plus tôt possible à destination, il venait expliquer un retard de quarante-huit heures occasionné par une halte inattendue qu’il s’était vu forcé de faire chez son ami sir Saville Rowe… Pendant que le docteur parlait ainsi, Ronald, admirant malgré lui l’éclat de ce regard d’aigle, les vibrations de cette voix sonore, se sentait de nouveau en proie à ces incertitudes qui le tourmentaient naguère encore. Malgré lui et par une sorte d’instinct, il devinait dans ce jeune médecin le héros innomé du roman dénoncé par lady Muriel, et plus cette idée s’emparait de lui, plus sa froideur, sa réserve, sa maussaderie, allaient croissant. Aussi Chudleigh Wilmot, son compliment terminé, ne prolongea-t-il guère la conférence.

— Voilà un personnage peu aimable, se disait-il une fois rentré dans son cab… Il ressemble pourtant à sa sœur…

Sa sœur ! — un être de raison maintenant, un gracieux souvenir, une douce image dont il ne restait rien à celui qui l’évoquait ainsi. Rien, c’est trop dire, mais bien peu de chose. Un bout de ruban bleu qui, après avoir retenu pendant plus d’un jour les beaux cheveux blonds de Madeleine, était tombé au pied de son lit. Le docteur l’avait ramassé, machinalement tout d’abord, puis à la dérobée il l’avait glissé dans un des plis de son portefeuille. Un bout de ruban ne pèse guère sur la conscience.

Plus qu’on ne croit cependant. Depuis ce léger larcin, le docteur se l’était reproché quelquefois, riant lui-même de son scrupule, mais ne parvenant pas à s’en débarrasser. Tout à l’heure encore, en face, de Ronald, sous le regard méfiant et froid du jeune officier, il lui avait semblé, — vraiment l’imagination humaine est sujette à d’étranges hallucinations, — il lui avait semblé qu’à travers l’épaisseur de ses vêtemens, et dans ce pli mystérieux où le bout de ruban était si bien celé… Préoccupation singulière et qui n’était sans doute pas étrangère au malaise de cette première entrevue.

Wilmot allait ainsi rêvant, et ni les maisons enfumées, ni le payé boueux, ni la foule affairée des passans, n’obtenaient de lui la moindre attention. Maintenant qu’il se retrouvait dans le milieu habituel de sa vie laborieuse et prosaïquement, absorbée, son séjour dans les montagnes, ses longues promenades à travers les bruyères, ces lointaines perspectives de pentes boisées et de lacs étincelans, les enchantemens de la solitude, la pure ivresse qu’on puise dans le souffle des brises rafraîchies au contact des neiges éternelles, tout ceci lui faisait l’effet d’un rêve. La réalité, c’était la routine de