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en guerre à cette époque soit avec l’Espagne, soit avec l’Angleterre. La lutte contre le saint-empire et les guerres civiles qui la suivirent avaient empêché nos rois de songer à la marine ; aucun travail de défense ne protégeait les havres nombreux de la Bretagne, et ses côtes n’étaient pas moins dégarnies que ses arsenaux. C’était donc avec ses seules ressources qu’elle était contrainte de se protéger contre des débarquemens dont l’imminence tenait tous les esprits en alarme, et qui s’accomplirent trois fois en vingt-cinq ans. La seule force qu’elle pût opposer aux flottes nombreuses qu’on signalait presque chaque jour à l’horizon, c’étaient quelques compagnies de gardes-côtes formées et commandées par les gentilshommes du littoral. Cette force très imparfaite, puisqu’elle ne se réunissait qu’au son du tocsin pour se séparer bientôt après, était de la part des états l’objet de la plus vive sollicitude. Ce fut à en payer l’armement qu’ils affectèrent la plus grande part des droits utiles attribués à l’amirauté de Bretagne. Pour ne pas tarir la source de ceux-ci, nous les verrons soutenir une lutte violente contre le cardinal de Richelieu, afin que l’amirauté bretonne conservât avec ses revenus propres et sous un chef particulier une existence entièrement indépendante de l’amirauté française.

La ressource véritable à l’heure des grands périls, c’était l’élan d’une population qui, à la vue des voiles anglaises, se sentait possédée d’une sorte de mystérieuse fureur. Du fond des landes armonicaines, des chaumières suspendues aux flancs des rochers, sortaient des hommes à la longue chevelure, armés du penbas, dont les coups avaient quinze siècles auparavant rompu plus d’une fois le carré des légions romaines : rudes combattans qui se jetaient sans ordre aux sons gutturaux d’une langue inconnue sur l’ennemi gorgé de butin. Il faut voir quel souffle épique digne de Froissart court dans les dernières pages de d’Argentré, lorsqu’il dépeint le brave Kersimon taillant en pièces à la tête de quinze mille paysans sur la plage du Conquet, en 1559, les Anglais et les Hollandais débarqués d’une flotte de cent voiles « pour mettre le feu il nos églises après infinité de choses scandaleuses et infâmes, puis faisant les mêmes exploits aux prochains villages et bourgades avec telle furie qu’ils se montraient sans comparaison plus désireux de sang que de butin. » Ce rempart vivant protégeait seul efficacement la sécurité du royaume sur son plus vaste littoral, et nous verrons qu’il ne cessa pas d’en être ainsi sous les règnes suivans, car les choses se passèrent en 1756 sur la grève de Saint-Cast à peu près comme sur celle du Conquet.

Bertrand d’Argentré n’apprend pas seulement l’histoire de Bretagne, il révèle la Bretagne elle-même telle qu’elle était encore