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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/435

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lorsqu’elle se donna aux rois de France. On voit reparaître dans ses pages cette âpre contrée toute hérissée de gentilhommières fortifiées et couverte encore de forêts druidiques. Des landes marécageuses où quelques défrichemens attestent la présence d’une population rare et pauvre, des villes fermées où l’industrie naissante, particulièrement celle des toiles, commence à élever des fortunes, sur la côte des champs plus fertiles venant jusque dans les flots affleurer une plage rendue plus redoutable par l’avidité des hommes que par la fureur des tempêtes, ainsi se montre ce vaste promontoire plongeant au loin dans les vapeurs de l’Océan. Peu de grandeur dans le paysage, si ce n’est lorsqu’on mesure de la cime des masses granitiques l’immensité de la mer et des cieux, peu d’art et moins encore de richesse dans les habitations seigneuriales, à part de rares châteaux où quelques grands personnages, français d’intérêts comme d’habitudes, ont fait pénétrer les merveilles de la renaissance, mais, au-dessus des tourelles et dominant les plus vieux chênes, des flèches aériennes et des églises d’un style inspiré, partout des monumens pour attester que sur cette terre imprégnée de foi les dures réalités de la vie touchent moins les hommes que les fortifiantes espérances de l’éternité.

La race qui habite au XVIe siècle ce pays, à peu près séparé des autres provinces du royaume, a une physionomie singulière, car elle est forte avec les apparences de la faiblesse. Dans son travail lent, mais assidu, dans les mélancoliques cantilènes dont elle l’accompagne, on sent une énergie native que n’épuise ni un régime débilitant ni l’usage pleinement accepté des plus rigoureuses privations. Au milieu de ces laboureurs vivent bon nombre de gentilshommes en parfaite entente avec eux. Dans leurs manoirs protégés par quelques fossés bourbeux, ceux-ci embrassent à peu près les mêmes horizons que leurs paysans, avec lesquels ils se confondent par la communauté des croyances et des habitudes. Nulle part ne se manifeste sur la terre celtique ni le dédain des vainqueurs ni l’humiliation des vaincus, parce qu’aucune barrière ne s’y révèle entre les races, si loin que le regard plonge dans la nuit des temps. Le Français, longtemps ennemi, n’est plus, depuis le règne de la bonne duchesse, qu’un étranger avec qui on n’entend pas se confondre, mais que l’on ne songe plus à éloigner. Les gentilshommes, qui un siècle plus tard entreront en foule dans les régimens formés par Louvois, ne se rencontrent encore aux armées royales que dans les compagnies d’ordonnance levées par les Rohan, les Rieux, les d’Avaugour ou les Penthièvre, ces gentilshommes demeurant plus attachés au pennon hermine des grands vassaux qu’à l’étendard fleurdelisé des rois. On ne les voit pas au Louvre,