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Quelques Syriens se livrent ainsi au travail ; mais ce sont surtout les noirs (takrouri). Aussitôt arrivés à Djeddali, à La Mecque ou à Médine, les uns s’emploient pour transporter les bagages et les marchandises des pèlerins riches, d’autres nettoient les cours ou portent du bois. Il y en a qui fabriquent avec de la terre de petits fourneaux portatifs, des paniers, des nattes ; d’autres se font porteurs d’eau. Toutes les fois qu’on a besoin d’un travail manuel, il faut recourir à un noir, les Bédouins étant trop fiers pour s’en charger, et les bourgeois des villes arabes préférant faire le commerce, affermer leurs maisons ou mendier. Burckhardt a remarqué que très peu de noirs demandent l’aumône, et encore n’est-ce que dans les premiers momens de leur arrivée et alors qu’ils ne peuvent pas encore se procurer du travail. A la fin du pèlerinage, les moins heureux ou les moins adroits ont réussi seulement à vivre, et reviennent aussi misérables qu’ils sont partis. D’autres sont arrivés à réunir un petit pécule, à l’aide duquel ils font le voyage de retour avec moins de fatigue et de danger. Les plus heureux ont pu acheter une petite pacotille qu’ils débitent sur la route ou à leur arrivée dans leur misérable demeure. Qui aurait le courage de le leur reprocher ? C’est d’ailleurs une idée tout européenne que l’incompatibilité entre l’exercice de la piété et la pratique du commerce. On ne persuadera jamais à un Oriental, musulman ou chrétien, qu’en faisant quelque trafic sur la route il puisse compromettre le bénéfice moral d’un pèlerinage.

On pourrait rechercher encore si le pèlerinage a lieu dans ces conditions extérieures de décence si naturelles en une circonstance de ce genre, si difficiles en même temps à obtenir dans une nombreuse réunion d’hommes et de femmes. On sait que les wahabites avaient empêché les Turcs de venir à La Mecque parce qu’ils ne s’y conduisaient pas convenablement. Or les fougueux sectaires reprochaient aux Turcs non-seulement des actes d’idolâtrie, mais une conduite immorale. Laissant de côté les traits de mœurs plus particuliers aux Orientaux, il suffira de dire quelques mots de la conduite des femmes. Elles sont peu nombreuses dans le hadj, elles n’atteignent peut-être que la proportion de un à vingt. Assurément le plus grand nombre des pèlerines, soit isolées, soit venant en famille, n’ont d’autre occupation que d’accomplir les préceptes de leur loi religieuse. Cependant elles ne sont pas toutes dans ce cas : soit pendant le trajet, soit à La Mecque même, les hadji ne trouvent que trop d’occasions de manquer dans les conditions les moins excusables au grave précepte édicté par le 193e verset du chapitre de la Vache. Il serait injuste de faire retomber sur la masse des pèlerins la responsabilité des désordres de ce genre, et en