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trop fameux Calomarde. Un de ces articles notamment donne à l’autorité civile, gouverneur ou alcade, le droit d’expulser du lieu de leur habitation les personnes jugées dangereuses. L’expulsion peut durer quarante jours, après lesquels un lieu de résidence est définitivement assigné « à l’individu ou aux individus suspects. » Il y a en Espagne quelque chose comme neuf mille alcades, dont trois mille au moins ne savent pas ou savent à peine lire, et voilà ces autorités disposant discrétionnairement de leurs concitoyens Voilà l’arme mise au service des passions politiques et même des passions locales. Et si on veut savoir comment et dans quel esprit cette mesure peut être entendue, il y a un fait qui a pu être cité au sénat sans être démenti. Dans une province vivait paisiblement une personne d’une certaine importance, qui était le candidat naturel de son pays aux élections. On fait observer à ce brave homme qu’il doit renoncer à la candidature sous peine d’éprouver des désagrémens, et, comme il sait ce que cela signifie, il se désiste en effet. On revient bientôt vers lui et on ajoute que cela ne suffit pas, qu’il faut encore qu’il écrive à ses amis pour recommander un autre candidat. Pour cela, il résiste et déclare qu’il ne peut recommander des personnes qu’il ne connaît pas. « Fort bien, lui dit-on, alors vous allez vous rendre en exil à Oviedo. » Le gouvernement n’avait pas attendu sans doute d’avoir fait sa loi pour la pratiquer. Depuis un an, il a multiplié obscurément les mesures de déportation, d’exil ou d’internement, et j’ajoute qu’il a tourné ses rigueurs avec une prédilection particulière contre tous ceux qu’il soupçonnait d’être affiliés à l’union libérale, mais enfin jusque-là c’était la sévérité d’une dictature temporaire. La loi nouvelle en fait une condition normale. Or, cette faculté discrétionnaire étant donnée, il est clair que l’article de la constitution garantissant la liberté individuelle peut être rétabli ; ce n’est plus qu’un vain mot, la liberté des citoyens est livrée au bon plaisir administratif, et ce n’est pas sans raison qu’on a pu dire en plein sénat que sous ce régime un honnête homme n’a plus qu’à s’en aller, à émigrer.

Et la loi sur la presse ! Voilà bien, je pense, la dixième loi par laquelle on a la prétention, au-delà des Pyrénées, d’enchaîner la presse sous prétexte de réprimer ses excès. On a essayé de tous les moyens, on a épuisé toutes les combinaisons. L’auteur de la loi nouvelle, M. Gonzalez Bravo, a du moins imaginé quelque chose d’original et d’inattendu. Il a créé ce que j’appellerai la censure dérobée et même l’avertissement clandestin, ayant, quant à l’effet pénal, la même valeur qu’un avertissement public. Je m’explique. Un journal ne peut rien faire paraître qui n’ait été communiqué deux heures avant la publication à une autorité spéciale, chargée de