Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/505

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surveiller la presse. Si cette autorité ne dit rien, tout va le mieux du monde. Si elle signale un article comme dangereux, comme ne pouvant pas passer, le journaliste se trouve placé dans cette alternative d’accepter la sentence qui lui est signifiée ou de demander à être jugé par un tribunal. S’il est jugé, il risque d’être supprimé ; s’il se résigne à l’arrêt discrétionnaire du fiscal, après trois avertissemens de ce genre il peut être suspendu, c’est-à-dire qu’un délit qui n’a pas été commis, puisque l’article n’a pas été publié, n’est pas moins puni C’est une combinaison aussi ingénieuse que nouvelle du système préventif et du système répressif. Et ici d’ailleurs, comme en ce qui touche l’ordre public, le ministère n’a fait que consacrer par la loi ce qu’il n’a cessé de pratiquer. La vérité est que depuis un an les journaux espagnols peuvent parler de tout, du Mexique, de la Crète, de l’Italie, de la France ou de la Chine, de tout excepté de l’Espagne. Il y a quelque temps, un journal a voulu publier simplement sans nul commentaire deux ou trois articles de la constitution, il ne l’a pas pu. Un sénateur a voulu rectifier la date de sa nomination, il n’a pu faire insérer une note parce que cela contrariait une assertion d’un membre du gouvernement. Un journal peut parler, même avec enthousiasme, de la harangue d’un ministre, il ne peut rien dire d’un discours d’un membre de l’opposition. Et sait-on quel est le résultat de cet étrange régime ? C’est de créer, à défaut d’une presse publique, libre et responsable, Une presse clandestine qui s’enflamme de toutes les passions révolutionnaires et qui échappe à toutes les inquisitions, qui brave l’état, de siège lui-même et se répand partout sous les noms de l’Éclair, l’Alerte.

C’est l’éternelle chimère des dictateurs et des sauveurs de se figurer qu’ils sauvent quoi que ce soit, qu’ils vont fonder une sécurité durable en brisant toutes les contradictions, en créant par un artifice de pouvoir l’unanimité des adhésions, en faisant le silence autour d’eux. Ils se trompent toujours. Ce qui ne se dit pas publiquement se dit tout bas et passe à travers les mailles de toutes les polices ; ce qui ne peut se publier dans le pays même se publie au dehors, et revient, on le sait de reste, altéré, grossi, exagéré. Alors ils s’irritent ; ils fulminent la peine de mort contre les auteurs de journaux clandestins, ils déblatèrent contre les journaux étrangers, qu’ils ne peuvent atteindre. Le gouvernement actuel de l’Espagne a fait ainsi. Il a expédié des circulaires à l’extérieur et à l’intérieur contre la presse européenne ; il a provoqué, pour s’en faire un appui contre elle, des manifestations de tous les corps de l’état, grands et petits, de tous les conseils possibles, un vrai pronunciamiento administratif faisant suite au pronunciamiento militaire, et au