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reçoivent 25 ou 30 francs pour un objet qui ne sera payé le mois suivant ou à d’autres ouvriers que 5 ou 6 francs ! On comprend donc avec quelle facilité la grève fut résolue. Dans quelques réunions clandestines au jardin du Moulin-de-la-Galette, à Montmartre, quelques ouvriers, supérieurs à leurs camarades par l’intelligence et l’instruction, arrêtèrent les termes des réclamations, les noms des membres du comité qui serait chargé de les soutenir, et quand ils se présentèrent dans une réunion autorisée de plusieurs milliers d’ouvriers, il leur suffit de déclarer qu’ils demandaient une augmentation de 18 pour 100 dans le salaire et la suppression de l’essayage pour obtenir l’adhésion unanime des assistans à ces prétentions excessives et à la nomination du comité présenté. Avant même que les patrons eussent répondu, ce qu’ils ne se hâtèrent pas de faire, la grève fut décidée dans une seconde réunion, et en même temps on procéda à la formation d’une société fraternelle de solidarité mutuelle et de crédit, laquelle pouvait bien être le but véritable de tout le mouvement.

Les demandes des ouvriers péchaient par une exagération telle qu’on ne devait pas croire au succès. Dans les premiers jours, des paroles de conciliation avaient été prononcées, et à côté du comité de la grève fonctionnait un comité de conciliation dont les conclusions, qui ont fini par prévaloir, auraient pu et dû être admises. beaucoup plus tôt. Il n’était malheureusement pas conforme à la logique des passions que l’on se montrât raisonnable dès le début. Tandis que les patrons, opposant coalition à coalition, fermaient leurs ateliers à un jour donné afin de prendre par la famine ceux qui voulaient les réduire par l’impuissance, une mise en scène habile était préparée contre eux, et de petits intérêts personnels profitaient des circonstances. Les ouvriers étaient encouragés à la résistance par de prétendus secours qu’envoyaient leurs frères de Londres, une liste des maisons adhérant au trafic des ouvriers s’étalait dans les colonnes des journaux. Au fond, le concours de Londres, annoncé comme devant s’élever à 200,000 francs, se réduisit à 750. Parmi les maisons qui consentaient à l’augmentation de 18 pour 100, on constata la présence de tailleurs qui travaillaient seuls ou avec un apprenti. Un d’eux n’occupait qu’un ouvrier et le payait à, l’ancien taux ; mais cet ouvrier consentait à dire qu’il recevait un plus gros salaire. Les maisons de confection de leur côté poussaient à la grève et occupaient les ouvriers sans ouvrage des grandes maisons fermées. Avertie de ces faits et de quelques actes de violence, l’autorité voulut assurer la liberté du travail. Elle s’arrêta prudemment devant des délits secondaires pour aller droit à ce qui constituait un danger plus sérieux, c’est-à-dire à la société fraternelle.