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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/639

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Fondée sur le modèle d’autres associations tolérées, mais, avec d’autres visées et dans la prévision de développemens faits pour appeler l’attention, la société des tailleurs prétendait réunir non-seulement les ouvriers d’une même profession, mais ceux de tous les métiers et de tous les pays. Au moyen d’une cotisation de 25 centimes par semaine, elle pouvait accumuler un énorme capital destiné à soutenir ses membres, et elle investissait le comité directeur de la société du pouvoir le plus tyrannique contre les patrons et contre les sociétaires eux-mêmes. Ce n’était pas en effet pour parer aux chômages ou aux maladies que le fonds social était réuni, c’était seulement pour assurer un salaire de 3 fr. 50 cent. par jour aux ouvriers des maisons mises à l’index. Or qui déclarait la mise à l’index ? Le comité des ouvriers. Qui la provoquait ? Les collecteurs chargés de recevoir les cotisations et de dénoncer les plaintes des ouvriers. Ces derniers, dès qu’un patron ne se serait pas conformé au règlement arrêté par le comité pour le prix ou la quantité du travail, dès que la majorité des ouvriers employés dans la maison aurait décidé que l’atelier était insalubre, devaient révéler le fait aux collecteurs et quitter l’atelier, sous peine d’être « signalés comme préjudiciables aux intérêts de la société. » Sans plus de détails, on comprend ce qu’une telle organisation avait de dangereux, et combien il était nécessaire d’arrêter les ouvriers sur cette pente qui aboutissait d’une part à la soumission absolue du patron, de l’autre à ces violences dont l’enquête sur les unions’ trades a démontré l’existence, et contre lesquelles, par des associations formées pour « assurer la liberté du travail, » le bon sens public proteste déjà en Angleterre. Les faits furent donc déférés à la justice et le tribunal correctionnel de la Seine déclara dissoute la société fraternelle de solidarité et de crédit mutuel en condamnant les six membres les plus influens du comité à une simple amende. Avec la législation qui soumet toute association de plus de vingt personnes à l’autorisation du gouvernement, le jugement était facile à prévoir ; mais la loi de 1834 contre les associations peut-elle subsister à côté de la loi de 1864, qui a supprimé le délit de coalition ? C’est une question qui reste à résoudre. Il est difficile, quand on autorise des individus à se coaliser, de leur refuser le droit de sanctionner leurs décisions par une organisation de quelque durée ; il est plus difficile encore de leur interdire la faculté de se réunir pour se coaliser. Droits de réunion, de coalition, d’association, sont bien voisins l’un de l’autre. Dès que l’un est concédé, on ne sait trop comment refuser les autres. Pour nous, le droit de coalition, celui qui permet à des intérêts collectifs de s’imposer violemment, de léser un droit individuel, ne nous paraît