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avide ? Sera-ce aux ouvriers des villes, généreux, enthousiastes, intelligens, mais prodigues, faciles aux illusions, illibéraux dans leurs actes avec les meilleures intentions ? L’éducation économique et politique pénétrant toutes les couches de la nation, tel est, avons-nous dit, le seul remède à des maux qu’une législation préventive ou répressive serait impuissante à guérir. Peut-on la répandre à un degré suffisant ? Bien des symptômes se manifestent qui permettent de l’espérer. L’Angleterre nous donne l’exemple.

A côté des désordres intimes révélés par l’enquête des unions’ trades et des crimes de Sheffield, on signale déjà en Angleterre une vive réaction contre la tyrannie des 800,000 membres de ces sociétés secrètes qui, comme le disait l’auteur des études anglaises déjà citées, ne peuvent se flatter « d’envoyer à Coventry » les 11 millions d’ouvriers de la Grande-Bretagne. Il a suffi pour arrêter les progrès du mal de le mettre en pleine lumière. Aussitôt des associations ouvrières pour défendre la liberté du travail se sont créées partout ; chaque jour enregistre de nouvelles sociétés formées sous l’impulsion de conservateurs et de libéraux pour défendre les vrais principes. A la date du 23 août 1867, les ouvriers de la grande maison Hawkt et Crawshay, de Gateshead, affirmaient publiquement le désir d’éviter toute grève et toute fermeture d’usine, et donnaient leur adhésion à ce principe, que le taux des salaires doit être déterminé par la hausse ou la baisse du prix sur le marché. Nous avons déjà cité la résolution prise en février par les millmen du Staffordshire de proposer eux-mêmes la diminution d’un dixième sur leurs : salaires. L’industrie métallurgique subit en effet une telle crise de l’autre côté de la Manche, que la nécessité, cette suprême conseillère, a ouvert les yeux aux ouvriers sur les moyens à employer pour la sauver. Ce qui est vrai sur un point l’est également sur beaucoup d’autres, et le mouvement de réaction libérale s’étend de façon à créer ouvertement des soldats pour la défense partout où l’on s’est armé secrètement pour l’attaque. Suivie ou non de mesures législatives, l’enquête sur les unions’ trades produira incontestablement les plus heureux résultats. L’éducation économique de l’Angleterre se fera de plus en plus et en même temps l’éducation politique, comme en témoignent toutes ces nouvelles associations ouvrières constitutionnelles où l’on interprète la loi de la représentation du pays ; citons, par exemple, celle que présidaient tout récemment à Newcastle le duc de Northumberland et lord Ravensworth. Sommes-nous hors d’état d’aspirer en France à des progrès semblables ?

Ce n’est certes point l’intelligence qui fait défaut à nos ouvriers. Depuis quelques années, ils ont beaucoup appris. Les magistrats