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chargés de l’instruction sur les grèves ont constaté leur savoir, leur bonne tenue, la modération de leur langage. Dans une poursuite politique contre une association secrète, les ouvriers qui en faisaient partie parurent supérieurs par leurs manières et leur instruction aux étudians qui prétendaient les conduire. La générosité des sentimens ne fait pas non plus défaut à l’ensemble des ouvriers. Toutes les fois qu’ils prennent la parole dans une circonstance où rien ne trouble le calme de leur conscience et ne soulève de vieux préjugés, on est touché de leur accent honnête et de leur éloquence cordiale. Un exemple entre mille peut bien en être cité. A Paris, un simple entrepreneur de peinture, M. Leclaire, a depuis de très longues années admis ses ouvriers au partage de ses bénéfices. Dans la dernière assemblée de la société de secours mutuels qu’ils ont créée à cette occasion, un ouvrier en lettres, M. Pascal, a prononcé un discours où le rôle de la femme dans la société et la famille était apprécié en termes hardis, émus et excellens.

Je rapporte ce fait non-seulement pour conclure de tout ce qui précède qu’il est indispensable et possible d’éteindre dans l’esprit des électeurs, nos souverains, ces erreurs qui semblent plus particulières à notre race latine, mais pour rapprocher du discours d’un obscur ouvrier peintre la motion de l’un des membres les plus éminens du parlement d’Angleterre, M. Stuart Mill. Le 21 mal 1867, l’honorable député de Westminster, dans la discussion sur le bill pour la représentation du peuple, n’a pas craint de demander qu’au mot « hommes » pourvus du droit de choisir leurs représentai on substituât celui de « personnes, » entendant par là que les femmes devraient être admises au vote, female suffrage.


« La mesure que je propose, disait en se levant M. Stuart Mill, n’a pas la plus petite tendance à troubler la balance des pouvoirs politiques, ne peut affliger l’esprit le plus timide, le cœur le plus envahi des terreurs révolutionnaires, tandis que le plus zélé démocrate ne peut la considérer comme une atteinte aux droits du peuple. La justice et la constitution anglaise font un devoir de l’adopter. Si la franchise politique est un droit abstrait, il n’y a pas de raison d’accorder aux uns ce qu’on refuse aux autres quand la capacité est la même. Si la loi britannique fait dépendre le droit de voter du paiement des taxes, est-ce que les femmes n’acquittent point les taxes ? Est-ce qu’une femme ne conduit pas l’état ? Est-ce qu’il n’y en a pas qui sont chefs de famille, directeurs de grands établissemens, institutrices ? Est-ce que dans le pays la femme ne jolie pas le même enjeu que l’homme ? Peut-on refuser en masse à une moitié si éminente de la société ce que l’on accorde au premier householder