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avait emporté sa promesse au tombeau, c’était en même temps se débarrasser d’une rivale, — de la seule peut-être qui fût à craindre.

Sans le savoir, lady Muriel en avait une autre, et celle-ci s’abîmait dans de terribles perplexités. Pour Henrietta Prendergast, on le comprend de reste, Wilmot ne pouvait être ce veuf inconsolable dont tout le monde exaltait les regrets. Elle en savait trop long pour tomber dans un pareil panneau. D’un autre côté, l’inexplicable démarche que le mari de Mabel avait faite auprès d’elle, ses questions multipliées, l’inquiétude qu’elles trahissaient, lui donnaient fort à penser. Puisque cette visite, — dont elle avait espéré de tout autres résultats, — n’avait abouti qu’à un véritable interrogatoire de magistrat instructeur, comment devait-on l’interpréter ? Il y avait là-dessous quelque secrète anxiété, quelque remords, quelque révélation ignorée, mais de quelle nature ? Elle gardait un souvenir pénible de cette dernière entrevue, mais en même temps cette femme d’esprit admirait la réserve habile avec laquelle son interlocuteur, en même temps qu’il la pressait de questions, avait su se maintenir dans le plus complet silence, parer toutes les insinuations provoquantes, se dérober enfin à tous les pièges, à tous les artifices d’une curiosité fortement éveillée. Cette curiosité avait depuis lors cherché à se satisfaire, et les relations que mistress Prendergast avait conservées avec la domesticité de sa défunte amie semblaient lui fournir tous les moyens de percer à jour la conduite du mystérieux docteur. De ce côté encore son espérance avait été déçue, Wilmot ne donnant plus prise, par aucune démarche, aucune parole irrégulière ou même ambiguë, à la moindre indiscrétion. Sa conduite avait été parfaitement conforme aux circonstances, aux observances qu’elles commandaient.

Tout ceci jetait Henrietta dans un grand trouble d’esprit. Elle cherchait et cherchait encore sans pouvoir éclaircir le secret des inquiétudes que Wilmot lui avait laissé entrevoir. — Aurait-il trouvé quelque chose dans les papiers de Mabel ? — Un journal peut-être ou quelque correspondance ? — Non, Mabel n’était pas femme à tenir registre de ses souffrances quotidiennes. Quant à des lettres, elle en recevait fort peu. Au début de sa maladie, elle avait brûlé celles qui lui restaient.

Le souvenir de cet auto-da-fé, Henrietta l’avait encore présent à la mémoire. — Je la surpris, se disait-elle, assise devant le feu, bien qu’il fît chaud et que la fenêtre fût ouverte ; à ses pieds, sur le tapis, une cassette de sandal ; sur la grille du foyer, un monceau de cendres. — Ettie[1], me dit-elle, on ne sait jamais ce qui peut arriver. Ni vous ni moi n’avons le mot de cette maladie et

  1. Diminutif familier du nom d’Henriette.