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rester. Et non pas lady Muriel, mais Madeleine. On ne doit pas se méprendre sur le compte de cette chère enfant, et croire par exemple qu’il fallait, pour prendre pied dans son affection, être une créature d’élite. L’habitude avait aussi ses droits. Ramsay Caird, qu’elle connaissait de longue date et qu’on avait habilement mêlé à ses jeux d’enfant, lui plaisait par une sorte de bonhomie superficielle, une familiarité respectueuse, certaines attentions insinuantes dont il avait le secret, et qui contrastaient avec le sans-gêne de l’affection paternelle, avec la brusquerie un peu despotique de Ronald. Ce dernier d’ailleurs depuis quelque temps se trouvait en quelque sorte disgracié par sa sœur. Un nuage avait passé sur l’affection qu’elle lui portait. Lady Muriel aurait pu dire d’où provenait cette imperceptible altération de leurs rapports ; mais en ce cas elle eût à coup sûr fort étonné Madeleine, pour qui certaines crises de son existence intime étaient lettres parfaitement closes.

Donc, à ce moment, Ramsay Caird était de tous les jeunes gens de sa connaissance celui qu’elle préférait, celui pour qui elle se montrait la plus prévenante. Il faut bien le dire au risque de la discréditer chez certains esprits dédaigneux, ce n’est pas notre faute si notre héroïne n’a pas plus de perspicacité, de portée d’esprit, de hardiesse et d’aplomb. Sa douceur, sa modestie, sa docilité naturelles l’assimilaient à la « moyenne » de nos jeunes Anglaises, et ne lui permettaient pas ces caprices, cette indépendance des fast young ladies que le roman moderne a dotées des fascinations les plus bizarres. Elle n’avait pas plus leur vaillance brutale que leur teint de bohémiennes et leur « peau de léopard. » C’était une belle et naïve enfant, blanche et pure comme un lis, et, — ma foi ! lâchons le mot, — aussi peu subtile que cette fleur biblique. Elle ne s’était jamais expliqué ce qui lui avait valu l’amitié d’un homme aussi distingué que Wilmot, ni le sentiment dont elle-même payait cette amitié. De même ne s’expliquait-elle guère l’intérêt qu’elle pouvait prendre à Ramsay Caird : cet intérêt, très secondaire au fond, n’en existait pas moins pour elle comme un fait acquis.

Un jour vint où ces deux sentimens furent mis en présence, tout soudainement et à l’improviste. Madeleine venait pour la centième fois de classer, d’interroger tout un ordre de souvenirs relatifs à Wilmot, depuis le jour où elle avait vaguement compris qu’il venait la sauver jusque à cette dernière entrevue dans le salon où elle l’avait trouvé si affectueux, si tendre, où son regard s’était posé sur elle avec une expression si pénétrante…

Tout à coup elle se sentit envahie par un désir fou de le revoir, de serrer sa main loyale, de se jeter sur son cœur, de lui dire… Et alors, alors seulement elle vit clair en elle-même. Hélas !