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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/700

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magistrats et aux bourgeois de cette ville que Henri III a été assassiné et que le roi expirant a désigné pour son successeur le roi de Navarre ; il ajoute, comme une conséquence nécessaire de cette situation nouvelle, qu’il faut ou adhérer à l’union catholique dont il est le chef, ou reconnaître un roi protestant. Les magistrats se raidissent contre l’alternative qui les trouble. Au lieu de s’assurer de la vérité d’une pareille nouvelle, ils n’hésitent pas à y voir une odieuse machination ; en vain le malheureux sénéchal prend-il Dieu à témoin de sa parfaite sincérité, il est jugé, condamné à mort séance tenante et immédiatement exécuté. « Ce factieux, nous dit Montmartin avec un sauvage laconisme, fut pris, pendu et étranglé à l’instant. Le président Barin, bon serviteur du roi, y mit la main[1]. » C’est à se demander si ce fut à la sentence ou à la corde ! Quoi qu’il en soit de ce meurtre juridique, le fait de la mort de Henri III n’était plus contesté le lendemain, et deux jours plus tard le duc de Mercœur faisait pendre à Nantes par représailles un magistrat royaliste fortuitement tombé entre ses mains[2]. Ces respectables magistrats, rapprochés la veille par une estime mutuelle et qui s’excommuniaient réciproquement, n’étaient pas cependant séparés par un abîme. Royalistes et Français, ils souhaitaient le triomphe de la royauté française ; catholiques, ils voulaient cette royauté catholique, et la fatalité des circonstances les conduisait à s’entr’égorger malgré la communauté de leurs croyances et l’identité de leurs aspirations politiques. Dans les discordes civiles, les questions de conduite entretiennent presque toujours des inimitiés plus implacables que les questions de principe, car l’on pardonne plus facilement à ses adversaires qu’à ses amis.

A Rennes, on pensait au fond comme à Nantes, car au parlement royaliste aucun magistrat n’estimait possible de constituer en France une royauté protestante, et au parlement de la ligue nul ne désirait remplacer la dynastie capétienne par une dynastie espagnole ou lorraine. Une pareille pensée ne se produisit jamais au sein des états convoqués à Nantes par le duc de Mercœur. La ligue conserva donc à Nantes, malgré la violence des attaques à la personne du roi, une modération politique qu’elle perdit vite à Paris sous l’impulsion des agens espagnols. S’il exista jamais aux états de Bretagne un parti lorrain à proprement parler, il y garda un silence prudent malgré les agaceries de la duchesse de Mercœur. Pour ce qui touche l’Espagne, on était si loin de vouloir livrer à Philippe II la monarchie de saint Louis ou l’héritage d’Anne de Bretagne, qu’au moment même où les ligueurs, menacés par les premières

  1. Mémoires de Montmartin, CCLXXXIII.
  2. D. Taillandier, liv. XIX, p. 376.