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découvre sous des cieux nouveaux des terres nouvelles, et vient à bout des plus périlleuses aventures à l’aide d’une population énergique enrichie par le commerce du Nouveau-Monde ; elle poursuit enfin, et non sans faire de gros profits, les galions de l’Espagne, les riches bâtimens de la Tamise où les navires armés par les huguenots de La Rochelle.

Lors de la mort de Henri III, le gouvernement de Saint-Malo appartenait à Honorât de Beuil, comte de Fontaines, vice-amiral de France et l’un des deux lieutenans-généraux du roi en Bretagne. L’avènement d’un prince protestant produisit dans cette ville le même effet que dans toutes les autres. L’émeute éclate à la proclamation du nouveau souverain et triomphe sans résistance ; les compagnies bourgeoises, déjà maîtresses de la place, organisent le blocus du château, où s’était renfermé le gouverneur avec une faible garnison, les compagnies jurant de ne pas déposer les armes avant que les états-généraux du royaume n’aient donné à la France un roi catholique. Le comte de Fontaines n’était pas l’homme des résolutions héroïques. Une convention tacite intervint entre lui et les bourgeois, par suite de laquelle il continua d’occuper le château au nom du roi, tandis que la ville reconnaissait le gouvernement du duc de Mercœur. Fort inquiet de ne point émarger régulièrement au milieu de la guerre civile, le gouverneur poussa la prévoyance jusqu’à se faire garantir ses appointemens sur les deniers municipaux, avec promesse, cet arrangement conclu, de ne s’opposer en aucune façon au bon plaisir de messieurs de la ville.

Cet accord fut observé durant quelques mois ; mais les calculs personnels ne sont guère compatibles avec les situations violentes, et les passions étaient trop excitées pour que cette neutralité concertée pût protéger bien longtemps la garnison. Le bruit se répandit que le comte avait promis au roi de le recevoir dans le château, lorsqu’après ses premiers succès en Normandie, dans sa brillante campagne de 1589, Henri IV conçut un moment la pensée de venir attaquer Mercœur en Bretagne. La perte du gouverneur fut décidée sur le seul soupçon qu’il pourrait être tenté d’accomplir son devoir. Au commencement de 1590, une escalade fut organisée par cinquante-cinq jeunes gens formés à toutes les manœuvres comme à toutes les audaces de la vie maritime. Profitant des ténèbres d’une nuit épaisse, ils parvinrent à l’aide d’une échelle de corde à gagner la plate-forme d’une des tours qui se dressait au-dessus de la mer comme un mât de cent pieds de hauteur. Surpris dans leur sommeil, les soldats furent égorgés sans avoir pu se défendre ; le comte de Fontaines fut tué d’un coup d’arquebuse,[1] et

  1. Le manuscrit du sieur de La Landelle, qui fut un des acteurs principaux de cette journée, ne peut laisser aucun doute sur les circonstances de la nuit du comte de Fontaines, tué au moment où il sortait de sa chambre, s’étant habillé trop lentement et « comme pour aller aux noces, sans qu’aucune aiguillette manquât d’être attachée ; » mais aux explications les plus naturelles l’esprit de parti préfère toujours celles qui le sont le moins. La Satire Ménippée contient ces paroles : « Il y a de pires saints en Bretagne que le catholique valet de M. de Fontaines, qui coupa la gorge à son maître en son lit moyennant deux mille écus pour notre mère sainte église. »