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créé dans cette ville en 1590 afin de l’opposer à celui de Rennes, le gouverneur de la province avait organisé dès les premiers momens de l’insurrection un conseil constitué sur le modèle du conseil supérieur de la sainte union formé à Paris par le duc de Mayenne. Les appels de cette espèce de comité de sûreté générale aux états de la province, réunis quatre fois par Mercœur durant le cours de la guerre civile, ses réquisitions aux corps politiques des diverses paroisses sont fréquens, pour ne pas dire quotidiens. A-t-on besoin d’un renfort de volontaires pour s’emparer du château de Blain, vigoureusement défendu par le capitaine du Goust et sa bande de huguenots ? faut-il envoyer de l’artillerie et des hommes au siège de Vitré, fortifier par des recrues et par des vivres l’armée qui va bientôt vaincre à Craon ? s’agit il de conserver au parti de la ligue la ville de Vannes un moment menacée par un détachement de royaux ? C’est toujours au zèle des bourgeois de Nantes que le conseil supérieur s’adresse, et ces appels, réitérés ne se font jamais en vain, qu’il réclame le secours de leurs bras ou celui de leur bourse[1]. A peu près ruinés par la cessation des affaires, mais dévoués à leur cause et confians dans l’avenir, les citoyens de Nantes prêtent sans hésiter cent mille écus au duc de Mercœur, et cautionnent son gouvernement pour des valeurs considérables. Ils passent durant cinq ans la nuit sur les remparts, doublent le périmètre de leurs fortifications, et consacrent à se former au tir de l’arquebuse les momens de loisir que leur laisse l’ennemi.

Quand je reconstruis par la pensée sous le lierre qui les recouvre les remparts écroulés de nos antiques cités, et que j’évoque le souvenir des scènes auxquelles s’associaient les populations tout entières, ce passé m’apparaît comme un rêve, tant les hommes et les choses diffèrent de ce que nous avons sous les yeux ! Sans déprécier le bien-être et la lumière que l’administration moderne se plaît à verser sur nos têtes, il m’arrive parfois de me demander si ces générations douloureusement éprouvées ne trouvaient pas dans ces épreuves mêmes quelque grande et généreuse compensation. « Ce n’est pas tout de vivre tranquille en son coin, a dit le plus illustre Breton de ce temps, quoiqu’il y ait une manière de gens qui indifféremment trouvent toute paix bonne et toute guerre mauvaise, quand on les laisse en patience manger les choux de leur jardin, dussent-ils encore aux quatre fêtes de l’année recevoir quelque demi-douzaine de coups de bâton. Ils ont empaqueté leur honneur et leur conscience au fond d’un coffre. Le bon citoyen doit avoir zèle aux choses publiques et regarder plus loin qu’à vivoter en des

  1. M. Grégoire a relevé aux archives de Nantes les nombreuses liasses concernant les emprunts faits ou garantis par la ville de 1589 à 1597, et le total représente une somme énorme.