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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/723

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ses jugemens, n’estime pas à moins de trente mille le nombre des victimes égorgées sur la côte sud du Finistère. Suivant lui, dans certaines paroisses où le nombre des communians était de plus de mille avant la guerre, il fut réduit à douze après la paix. Il nous apprend que dans la Basse-Cornouaille la guerre et le pillage, en amenant la presque cessation de la culture, engendrèrent la famine en 1595, que celle-ci fut suivie en 1597 et 1598 d’une sorte de peste noire ; il ajoute que des bandes de loups, parcourant la campagne en plein jour, attaquèrent les restes de cette population infortunée, de manière à changer pour cinquante ans plusieurs cantons, jadis florissans et populeux, en un véritable désert où l’empire des bêtes féroces remplaça celui des hommes.

Si ces faits semblent moins appartenir à l’histoire qu’à la légende, ils sont attestés par tant de ruines accusatrices et par des témoignages si concordans, qu’il n’est pas même possible d’en contester l’authenticité. Je puis indiquer un document irrécusable dans lequel tous les actes hideux imputés à Fontenelle et les souffrances infligées à la Basse-Bretagne par ce bandit sont fixés à leur date et rappelés jusque dans les plus minutieuses circonstances. C’est un long mémoire présenté à Henri IV au nom de plus de quarante communes par le sénéchal de la Cornouaille pour réclamer l’exemption de tous les impôts, tailles, fouages ou autres charges, sous quelque nom que ce puisse être, jusqu’à ce que ces communes aient été repeuplées et les terres de nouveau livrées à la culture. Sous le titre d’Informations des désordres et cruautés dans l’évêché de Cornouaille depuis l’année 1592 jusqu’à la paix, ce mémoire expose année par année les massacres, incendies et pillages qui ont ruiné ce malheureux pays. C’est en présence de Fontenelle vivant, car ce fut deux ans plus tard qu’il paya sa dette à Dieu et aux hommes, que ce magistrat s’exprime en ces termes : « Le sieur de La Fontenelle, faisant la même route que le comte de La Magnane, a usé de pareilles et plus grandes violences, cruautés, exactions et brûlemens, tuant et massacrant au bourg de Saint-Germain deux à trois mille hommes, et par tout ledit évêché violant femmes et filles, tuant les maris pour ce faire, fait loger ses troupes de plus de douze cents hommes ès maisons des gentilshommes, icelles brûlées, démolies et ruinées, les champs demeurés déserts, tout ce qui pouvait être semé ayant été par ledit sieur pris et emporté[1]. » Il n’y a pas probablement dans les annales de la justice un acte d’accusation plus effroyable.

Comment la Bretagne se laissa-t-elle saigner à blanc par quelques centaines de bandits et prolongea-t-elle, malgré l’impuissance

  1. Ce mémoire, en date du 23 janvier 1599, est signé par Jacques Lorans, sénéchal, et Me Loheac, procureur du roi au présidial de Quimper. J’en dois la communication à l’obligeance de M. Lemen, archiviste du département du Finistère.