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d’en abriter toutes les flottes. Fonder en Bretagne un établissement militaire inexpugnable en s’y ménageant les chances que semblait préparer l’incertitude des événemens, servir le duc de Mercœur contre Henri IV sans l’assister dans ses aspirations personnelles, telles furent les instructions données par Philippe II à ses agens[1]. Ce fut dans ce dessein nettement défini qu’il accueillit en 1590 les imprudentes ouvertures de Mercœur, « le premier de ceux de son parti, dit Moreau (ce qui doit être noté), qui ouvrit notre frontière et notre mer aux Espagnols[2]. »

Les vues de la cour de Madrid se portèrent d’abord sur Blavet, aujourd’hui Port-Louis, et Mercœur dut accepter la tâche d’arracher au prix d’un siège meurtrier cette forte position à l’armée royale pour la remettre aux mains des Espagnols. Ceux-ci parurent reconnaître l’année suivante la grandeur de ce service par le concours décisif qu’ils prêtèrent au prince lorrain lors de la bataille de Craon ; mais cette victoire est à peine remportée, qu’au lieu d’en poursuivre les fruits don Juan d’Aquila se retire à Blavet, et ne s’inquiète plus que d’augmenter les fortifications de cette place. L’année suivante, le général espagnol, alarmé des progrès du maréchal d’Aumont, consent à reprendre avec Mercœur la suite des opérations offensives. Ils remportent de concert des succès partiels ; mais lorsqu’il se présente durant le siège de Morlaix une occasion de livrer une bataille décisive à l’armée royale, don Juan, non moins alarmé des périls de la victoire que de ceux de la défaite et motivant son inaction par la situation de ses troupes, dirige son armée sur Brest, sans renoncer à l’établissement de Blavet, où il continue des travaux considérables. Il fonde alors à Crozon, avec la pensée de dominer la plus belle rade de l’Europe, un fort dont la construction rencontre heureusement dans la nature du sol des difficultés à peu près insurmontables. Sitôt qu’il fut maître du château de Morlaix, d’Aumont, comprenant l’urgence d’arrêter l’érection de ces fortifications qu’on disait déjà formidables, se dirigea vers la presqu’île de Crozon, chaleureusement secondé par les Anglais, que le hardi projet des Espagnols alarmait aussi pour eux-mêmes. Le fort fut enlevé après quatre assauts consécutifs livrés et soutenus avec une vaillance égale.

Depuis quatre ans que les Espagnols avaient pris pied en Bretagne, ils avaient suscité à Mercœur plus d’embarras qu’ils ne lui avaient apporté d’avantages. Lorsqu’il avait besoin d’argent, on lui proposait des troupes, et quand il réclamait un plus énergique concours militaire, on lui faisait espérer des subsides. Ce prince

  1. De Thou, Histoire universelle, liv. XCXIX_CII. — Montmartin, CCCXII.
  2. Mémoires de Duplessis-Mornay, t. II, IV et VI.