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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/732

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servi dans une étable, à côté des vaches paisibles et des chèvres indiscrètes, on se souvint qu’avant La Fontaine Plutarque avait dit beaucoup de bien des animaux, vanté à. juste titre leur intelligence, parlé comme il convient de leurs honnêtes ménages et de leur tendresse pour leurs petits. Peu à peu, chacun y mettant du sien, on finit par recomposer à peu près le catalogue des œuvres morales du sage de Chéronée. Et moi, en m’endormant une heure après au son lointain du tambour et du hautbois qui faisaient danser les gens de la noce, je me disais qu’il y aurait un livre nouveau et charmant à écrire, non sur le Plutarque des grands hommes, qui est suffisamment signalé et dont tout le monde lit quelque chose, mais sur le Plutarque des vertus domestiques, civiles et sociales, qui n’est lu que des érudits et des historiens de la philosophie.

Ce livre, on a récemment essayé de le faire. Un esprit aimable et juste s’est enfin épris de cet attrayant sujet. L’ouvrage de M. Gréard est agréable, élégant, exact. Il présente, chose rare, un double intérêt de nouveauté. Non seulement la morale de Plutarque y est pour la première fois exposée et appréciée ; mais sa biographie ; qu’aucun ancien n’a écrite, y est rétablie avec beaucoup de sagacité critique d’après les détails personnels épars çà et là dans l’œuvre si vaste du moraliste. C’est donc là un travail de sérieuse valeur ; mais, dans son désir excessif de ne rien dire que de vrai et de garder la stricte mesure, M. Gréard envisage l’auteur qu’il examine sous un angle trop étroit. Il craint tellement de le surfaire qu’il en arrive à l’amoindrir. Le donneur de conseils dont il esquisse timidement la physionomie débonnaire aurait-il donc été de taille à dominer tant d’esprits éminens ? Le sage qu’Henri IV appelait sa conscience, l’écrivain dont les ouvrages ont été le bréviaire de Montaigne. et de son siècle, le maître de Jean-Jacques Rousseau, l’historien qui, selon le mot de Mme Roland, a préparé dans ses biographies une pâture aux grandes âmes, celui-là est plus qu’un écho, plus qu’un disciple, Plutarque est une intelligence de premier rang. Parmi les philosophes qui, depuis Socrate, ont enseigné la morale pratique, il n’a point d’égal. Avant lui, il y avait eu des médecins de l’âme, il y en avait encore de son temps ; mais nul n’a exercé ce noble ministère avec la même largeur, avec la même sûreté. Aucun autre n’a poursuivi comme lui pendant une longue existence le beau dessein de guérir une nation du mal de la décadence en allant réveiller au fond de l’âme humaine ses énergies morales engourdies. Plutarque a donc eu, selon nous, son originalité propre ; sur le terrain qu’il a choisi, c’est presqu’un homme de génie. Voilà ce qu’il fallait oser dire et ce que je tâcherai de prouver en me fondant précisément sur la biographie et sur