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la doctrine de Plutarque. Je ferai voir d’abord que, considéré en lui-même, Plutarque a eu à la fois l’instinct inné et la science consommée du moraliste pratique et du médecin de l’âme ; — j’établirai en second lieu que, dans l’application, il a déployé des facultés supérieures par la façon dont il a tenté de régénérer le sentiment domestique, le sentiment patriotique et le sentiment religieux, ces trois appuis nécessaires des sociétés humaines. Ce sera dans tous les temps un spectacle à se donner que celui d’un tel esprit et d’un tel caractère appliqué sans relâche à stimuler la vitalité défaillante de sa patrie : à notre époque, c’est peut-être un enseignement à recueillir et un exemple à imiter.


I.

« Plutarque, dit La Harpe, est peut-être l’esprit le plus naturellement moral qui ait existé. » Ce jugement est vrai. Le sens exquis, délicat, infaillible des choses morales est le fond même de la nature de Plutarque et le trait saillant de son intelligence. Il était né moraliste comme Raphaël naquit peintre, et Mozart musicien. Ce tact invisible au moyen duquel il constatait les travers de l’âme, les degrés mille fois divers des vices et des vertus, ni le ciel sous lequel il vit le jour, ni la race, ni le sang, n’auraient pu le lui donner ; mais ce que nous savons de son pays,– de sa famille et de sa vie prouve qu’autour de lui tout conspira à susciter et à développer ses aptitudes spéciales.

La Grèce avait des provinces heureuses que baignaient des mers souriantes. Les brises tièdes, les ardeurs des longs étés y excitaient au plaisir ; les flots y apportaient, sur les vaisseaux de l’Asie, les richesses, les étoffés brillantes, les parfums, les germes en un mot de toutes les corruptions. Là les esprits étaient fins, mais les âmes mobiles et les caractères légers : hommes et choses y changeaient sans cesse. La Grèce avait aussi ses contrées âpres et rudes, entourées de montagnes, fermées ou peu accessibles aux influences extérieures. Dans ces pays moins favorisés, la vie plus difficile créait de mâles habitudes ; la rareté des relations laissait aux mœurs leur primitive empreinte ; les lois morales, plus tôt connues, régnaient plus longtemps. La Béotie était un de ces pays à l’aspect austère. Battue en, hiver par une bise glacée, desséchée en été par un soleil brûlant, enveloppée en automne de vapeurs malsaines, loin d’amollir ses habitans, elle leur imposait —ces luttes contre la nature qui exercent l’homme à défendre son existence, ses croyances et sa liberté. Aussi, moins spirituels et moins souples, mais plus constans et plus sensés que les Athéniens, les ancêtres de Plutarque s’étaient