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vraie en partie, ils se persuadent que, répandue à grands flots, la science fera éclore et fleurir toutes les vertus. Ils oublient que l’instruction ne s’adresse qu’à l’esprit, et que, lorsque celui-ci est éclairé, il reste encore à fortifier les volontés et à discipliner les appétits. D’autres sont convaincus que la société vieillissante ne saurait rajeunir qu’au souffle pur et vivifiant de la liberté, et leur opinion est exacte ; mais ils disent que la liberté n’est efficace qu’à la condition d’être sans limites, et en cela ils méconnaissent les droits de l’ordre, qui sont ceux mêmes de la raison et de la justice. Dupes d’une illusion plus dangereuse encore, les fondateurs d’une secte célèbre se flattèrent, il y a trente ans, d’inoculer au monde affaibli et usé une vigueur nouvelle en érigeant les passions en lois et en prêchant l’évangile de la chair réhabilitée. Enfin à l’extrémité opposée un mysticisme ombrageux et jaloux, dur envers la raison, hostile à la liberté, ennemi du progrès qui lui répugne et le menace, déclare de temps en temps que la civilisation moderne agonise, mais qu’il suffirait, pour l’arracher à la mort, de la ramener à la soumission naïve et à l’humble docilité de sa première enfance. Eh bien ! Plutarque, venu il y a dix-huit cens ans, à une heure bien autrement critique que celle où nous vivons, n’est tombé dans aucun de ces excès. Il trouvait cependant des erreurs presque semblables dans l’histoire de son pays. Pour le traitement des maladies de l’âme, ses prédécesseurs recouraient invariablement à la saignée ou à l’amputation. Tantôt ils retranchaient au malade l’un de ses organes essentiels, par exemple la liberté ou la raison ; tantôt ils lui ôtaient l’ardeur des belles passions, qui est à l’âme ce que la chaleur du sang est au corps. Plutarque réprouve ces amoindrissemens, ces mutilations de la nature morale. Il ne tolère pas que l’on détruise l’harmonieuse unité de nos énergies spirituelles. À ceux qui n’affirment pas assez résolument le libre arbitre, il rappelle que « c’est l’âme qui se déprave elle-même. » Aux partisans du fatalisme, il oppose, dans un excellent morceau sur la fortune, ce langage resté sans réplique : « si nous attribuons à la fortune les actions de justice et de tempérance, il faut lui imputer aussi le vol, le brigandage et la débauche. » À l’erreur stoïcienne qui réprouvait toutes les passions ardentes, sans comprendre que c’était fermer la source de l’enthousiasme et de l’héroïsme, il lance comme dernier argument ce trait d’une brièveté incisive : « l’homme qui craint de s’enivrer ne jette pas son vin ; il le tempère. » Quant aux épicuriens, dont la doctrine, malgré certains dehors, menait droit à une sensualité grossière, il les a trop malmenés peut-être ; mais il a eu raison de leur ôter leur masque. C’était son droit de montrer, derrière Épicure, son enfant terrible, Métrodore, qui en-