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permises et de son attrait le plus exquis, n’aurait eu d’autre aspect que celui d’un devoir sévère, si les mœurs n’avaient un peu atténué. les inévitables conséquences d’une institution qui satisfaisait à peu le plus impérieux penchant de notre nature.

Par malheur, la plus triste de ces conséquences fut aussi celle qui se produisit le plus complètement. La mère de famille fut peu aimée et, à ce qu’il paraît, peu aimable. On demandait un jour à un Lacédémonien pourquoi il avait épousé une femme très petite : — C’est, répondit-il ; que des maux il faut toujours choisir le moindre. — Ces paroles, rapportées par Plutarque, sont plus qu’une malice, elles résument une situation sociale. Ne, trouvant dans le gynécée rien de tel qui l’éveille, l’enflamme et le nourrit, l’amour émigra. Les transports de la passion, les fêtes de l’affection qu’on lui refusait au foyer domestique, il alla les chercher au dehors. Ainsi triomphèrent ces hétaïres auxquelles Plutarque semble livrer un combat décisif pour leur enlever l’amour et le ramener dans la chambre nuptiale. L’ennemi était depuis longtemps aguerri et bien armé. Tous les prestiges ravis, par la religion à l’honnête femme, tous les moyens de séduction par elle dédaignés, la courtisane en était revêtue, ou s’en était hardiment emparée. Jamais en aucun autre pays elle ne s’éleva si haut par le patriotisme, le génie, la beauté, la passion. Nulle part ailleurs elle n’a eu une aussi brillante histoire. Elle aussi, elle appartenait à une institution religieuse. Sous un ciel embrasé, dans cette atmosphère redoutable qui tour à tour excite et amollit selon que le vent souffle des mers ou de la terre, la volupté exerçait un empire si puissant qu’on l’avait divinisée. Si la mère de famille était prêtresse d’Hestia, la courtisane était prêtresse d’Aphrodite, avec cet avantage qu’elle célébrait les enivrans mystères du plaisir, tandis que l’épouse ne sacrifiait qu’aux devoirs rigoureux et qu’aux vertus austères. Ce n’est pas tout. Continuellement obligée de séduire, toujours appliquée à charmer les hommes les plus distingués, politiques, orateurs, philosophes, artistes, qui recherchaient sa société, la courtisane développait ses dons naturels, tandis que la ménagère restait au niveau de ses servantes ou s’y abaissait insensiblement. Ce fut une héroïne à son heure, cette Léæna, qui se coupa la langue avec les dents et la cracha au visage de ses bourreaux de peur de laisser échapper, vaincue par la torture, le secret d’une conjuration. C’était une personne éminente que cette Aspasie, qui enseignait l’éloquence aux maîtres de la parole. Par son intelligence, elle fut vraiment la reine de cette brillante république d’Athènes dont Périclès était le roi, quoiqu’il n’eût ni sceptre ni couronne. Phryné ne se contentait pas d’être la plus belle des femmes et comme la