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visible incarnation de la déesse qu’elle servait ; aux jours de ruine et de malheur public, elle montrait une âme patriotique en offrant de reconstruire à ses frais les murs démantelés de Thèbes. La seconde Lais, aussi vénale pourtant que la première, s’éleva une fois jusqu’à l’amour pur, exclusif et désintéressé. Éprise du Macédonien Hippothalus, elle quitta, pour le suivre jusque dans son camp, les ombrages de l’Acrocorinthe et les fraîches fontaines qu’elle aimait. Les femmes du pays, jalouses de sa beauté, la firent mourir sous une grêle de pierres dans le temple même de Vénus, sans songer que par ce martyre elles lui rendaient son honneur perdu. Comment les Grecs auraient-ils résisté à ces créatures extraordinaires qui de temps en temps mêlaient à l’attrait des plus vifs plaisirs quelques-unes des fascinations de la grandeur ? Ce monde des courtisanes n’était-il pas alors la seule société des femmes où l’on pût vivre par l’esprit ? Ils y allaient donc et s’en faisaient gloire. Cette domination des hétaïres était un fait accepté, sinon approuvé. « Nous avons, disait Démosthènes, des courtisanes pour nos plaisirs, des concubines pour partager notre couche, des épouses pour tenir nos maisons et nous donner des enfans légitimes. »

On le voit, les élémens essentiels de l’amour, étaient dispersés, et des forces qui le constituent, la famille n’avait retenu que les moins attrayantes. Jusqu’à quel point, les progrès de la raison avaient-ils atténué ce grave, désordre ? Il est difficile de le dire. Sans doute, à en juger par certains dialogues de Lucien, qui suivit Plutarque de près, la courtisane au IIe siècle était tombée fort au-dessous de Phryné et de Laïs. C’est l’effet de la décadence de tout abaisser, même le vice. Il ne semble pas cependant que la femme légitime, au moins en Grèce, eût beaucoup profité de la déchéance des hétaïres. On continuait à ne rechercher dans le mariage qu’une dot et l’espoir d’une lignée. On ne demandait à la femme ni d’embellir la maison, ni de charmer la vie. Plutarque constate ce mal, il le déplore et tâche de le guérir en reconstituant au sein de l’association domestique l’amour qui en est l’âme.

Pour y réussir, il fallait relever la femme légitime. Or n’est-il pas remarquable que Plutarque, en poursuivant ce but, ait évité l’excès, la chimère, l’utopie, et qu’en même temps il ait indiqué les moyens les plus capables encore aujourd’hui de donner à l’union des époux toute sa dignité morale ? Il n’y a pas de faute que n’aient commise ceux qui ont précédé ou suivi Plutarque sur ce difficile terrain. Plein du désir de placer la femme à son rang, l’auteur de la République n’avait rien trouvé de mieux que d’en faire un homme et un soldat. Ne pouvant toutefois démentir absolument la nature, il lui avait laissé la maternité, mais moins à