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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/748

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de la famille, a gardé, paraît-il, son efficacité. Contre les nouveaux adversaires que les révolutions ont créés à l’honnête femme, et qui dépeuplent également le salon et la mansarde au profit du club, du cercle, du cabaret, quel secours invoque-t-on à l’heure présente ? Les moralistes actuels ne disent-ils pas à l’envi que, pour fortifier le lien domestique, il faut se hâter d’instruire les femmes et de les amener à valoir tout leur prix ? Plutarque, il y a dix-huit cents ans, ne disait pas autre chose ; mais il a aussi cherché un spécifique propre à ranimer les vertus publiques, en réveillant l’âme endormie du citoyen. L’a-t-il découvert ?


III.

Depuis son retour définitif à Chéronée, Plutarque s’était créé une existence conforme à ses maximes et à ses vœux. Plus favorisé que Socrate, son modèle, il trouvait sous son toit la paix, les affections de famille et les satisfactions de l’esprit. Intelligente et sérieuse, Timoxène l’aidait à élever ses enfans et à réaliser l’idéal esquissé dans les préceptes du mariage. Tandis que les dames de Chéronée, affolées de luxe, ne savaient qu’ajouter de ruineuses dépenses aux prodigalités effrénées de leurs maris, Timoxène paraissait au temple, aux processions, au théâtre, dans une tenue simple et grave que louaient les philosophes. Toutefois la maison de Plutarque s’ouvrait à propos. L’hospitalité qu’il avait jadis reçue à Rome ou qu’on lui offrait à Athènes, à Élis, à Corinthe, il aimait à la rendre. Seulement il conviait à sa table frugale des gens d’esprit et des causeurs, et non ces mangeurs fameux que, dès le temps de Pindare, on qualifiait de « pourceaux de Béotie », et que le poète Ménandre avait caractérisés en disant : « Ils ont des mâchoires ». Dans ces réunions aimables, le moraliste renouait avec joie les entretiens de table autrefois commencés à Rome, et le médecin de l’âme donnait des ordonnances à ses convives, qui étaient aussi ses cliens. Ceux qui ne pouvaient le visiter le consultaient par lettres et l’excitaient ainsi à rédiger, pour leur répondre, ces traités que sa paresse eût laissés, — il l’avoue lui-même, — à l’état d’ébauches. Cette vie agréable, pure, noblement occupée, aurait dû contenter Plutarque. Il la trouva incomplète. Le philosophe demanda et obtint des fonctions publiques : il fut d’abord simple officier de police, puis archonte, c’est-à-dire premier magistrat municipal de Chéronée. Ambitieux à sa manière, il voulut appliquer sa médecine de l’âme au salut de la cité grecque et la guérir de l’état de langueur croissante où l’avait jetée un mal alors sans nom, mais que les modernes, qui le connaissent, eux aussi, ont appelé la centralisation.