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elle apprit la mort de la reine : « C’est l’adieu de ma plus noble amie, dit Mme de Boigne, et le coup de cloche de mon départ. » Elle vécut encore près de deux mois, tantôt tout à fait malade, tantôt à peine et un moment convalescente ; depuis quelque temps déjà elle ne sortait plus de son lit, recevant ses amis dans sa chambre et prenant encore à leur conversation un languissant plaisir. Je ne sais pas quel était alors, à l’approche de l’éternel avenir, l’état intime de son âme ; je ne me fie pas en un pareil moment aux assertions ou aux dénégations des spectateurs intéressés ou indifférens ; Dieu et le mourant sont seuls en présence, et nul n’assiste à leur rencontre. Quelles que fussent ses croyances, Mme de Boigne était animée en religion de sentimens sérieux et modestes ; elle demanda et reçut avec recueillement les secours de son église ; et le 10 mai 1866 elle s’éteignit sans douleur du corps et sans trouble de l’âme.

De son vivant, elle n’a rien publié : elle n’avait pas cette impulsion passionnée, cette ardeur surabondante qui pousse une femme d’un esprit et d’un cœur très actifs à se répandre au dehors, à chercher la publicité et la renommée. Elle n’avait pas besoin de ce travail pour mener une vie commode, animée, brillante. Elle n’avait nul goût à en courir les risques. Elle aimait par-dessus tout sa sécurité, le succès sans effort et sans bruit. Elle écrivait pourtant ; elle prenait plaisir à mettre en relief ses observations, ses impressions, ses souvenirs, et à penser qu’il en resterait quelque trace. Elle a laissé des mémoires personnels et deux romans. Je ne sais à quelle époque elle s’est donné ce qu’elle appelle elle-même « cet amusement, » et je ne connais rien de ses mémoires ; mais à la fin de sa vie elle a fait commencer elle-même l’impression de ses romans, elle a voulu qu’ils fussent publiés après sa mort, et elle a consigné dans son testament cette volonté en en confiant l’exécution à une amie qui avait donné à sa vieillesse les marques les plus assidues de la plus aimable affection, à Mme Lenormant, nièce de Mme Récamier, avec qui Mme de Boigne avait été intimement liée, « et qui l’attirait et la charmait, disait-elle, comme tant d’autres, par sa bonté autant que par sa beauté. » Je doute que Mme de Boigne eût été satisfaite de la publicité qu’elle avait voulue ; ses deux romans n’ont pas frappé le public, pas autant, selon moi, qu’ils le méritent comme portraits de la société qu’ils retracent et de la personne qui les a écrits.

Le plus court de ces deux romans, la Maréchale d’Aubemer, est une nouvelle du dix-huitième siècle. Le plus étendu, une Passion dans le grand monde, se passe de nos jours, de 1813 à 1820. Mme de Boigne n’a pas seulement voulu peindre des époques et des mœurs auxquelles elle avait assisté et appartenu ; elle a pris soin de bien déterminer elle-même le but qu’elle s’était proposé. Je lis,