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comtesse Gertrude, alors âgée de trente-cinq ans, annonça avec sa hauteur accoutumée qu’elle épousait M. Romignère, qui avait près de soixante ans et était très valétudinaire. Il avait offert de prendre le nom d’une terre titrée dont il était propriétaire mais elle avait refusé avec dédain. En revanche le contrat de mariage révéla qu’il lui assurait tout son bien. Mme Romignère a toujours comblé son mari d’égards et lui a témoigné grande affection ; elle a continué à recevoir la société la plus élevée, et l’a forcée à entourer M. Romignère de respect par la déférence qu’elle lui montrait. Il fut arrêté pendant la terreur, il dut la vie et la conservation de sa fortune au courage et à l’intelligence déployés par sa femme ; mais sa santé, déjà si frêle, fut tout à fait perdue ; il traîna encore quelques années, et la laissa veuve et très affligée de sa perte. Des parens éloignés de M. Romignère voulurent réclamer sa succession, ils intentèrent un procès ; lorsqu’on annonça à Mme Romignère qu’elle l’avait gagné, elle se borna à dire : « Il aurait été par trop dur de s’appeler Romignère pendant quarante ans pour ne rien laisser à la maison de Bauréal. »

D’après le titre de la Maréchale d’Aubemer, le lecteur ne s’attend pas à retrouver là Mme Romignère : ce n’est pas la même aventure, ni par la même cause ; mais la situation est analogue, et si elle n’aboutit à la même fin, elle révèle la même personne. « Le baron d’Élancourt, veuf et retiré du service, habitait une terre éloignée de la capitale. Il crut faire un acte de sagesse en nommant un homme d’affaires, dont l’intégrité ne lui était pas douteuse, tuteur de ses deux filles. En chargeant M. Duparc de gouverner leur fortune et de disposer de leur sort, il avait stipulé qu’elles demeureraient au couvent jusqu’au jour de leur mariage ; l’aînée atteignait sa dix-neuvième année lorsque M. Duparc lui présenta M. Dermonville comme aspirant à sa main. L’ennui du couvent ne lui permit pas d’hésiter ; elle épousa M. Dermonville, au grand mécontentement de sa famille, qui n’avait pas été consultée. Le public en général blâma ce mariage ; on trouvait que Mlle d’Élancourt, fille de qualité, alliée aux premières maisons de France, possédant 30,000 livres de rente et une beauté fort remarquable, ne devait pas épouser un homme de quarante-cinq ans, dont la seule distinction se bornait à une très grande fortune : on aurait pu ajouter beaucoup de bon sens et un heureux caractère ; mais ce sont de ces avantages dont on tient peu état dans le monde, et le bruit courut que M. Duparc avait vendu la jeune et charmante Emilie d’Élancourt à beaux deniers comptans. M. Dermonville entoura sa femme d’un grand luxe, établit sa maison sur un pied très élégant, et elle devint l’arbitre de la mode, sorte d’importance qui absorbe au début de la vie et ne laisse pas aux regrets le temps de se former.