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avec affectation qu’ils aiment la paix, qu’ils la veulent, et qu’ils y ont d’autant plus de confiance qu’ils sont d’accord pour la faire prévaloir, il n’est pas surprenant que cette façon de proclamer la paix donne des ombrages à une cour dont les prétentions à la prépondérance sont fondées sur des succès récens. M. de Bismark a donc pris soin de marquer qu’il est, lui aussi, pacifique à sa façon et au prix de la concentration des forces de l’Allemagne. On ferait au surplus les affaires de la Prusse, en irritant les susceptibilités allemandes, si l’on avait l’air de prendre garde au travail de son ménage intérieur. La lutte sur le fond des choses ayant été écartée, à quoi bon donner de l’importance aux choses de forme ? Pourquoi s’égarer par des provocations de mots ? M. de Bismark a tenu à poser en principe que l’annexion de l’Allemagne du sud à la confédération du nord ne dépendrait que de la volonté des états germaniques, sans qu’aucune puissance étrangère eût rien à y voir. En parlant ainsi, le ministre prussien semblait demander une réplique ; mieux vaut la lui refuser. On a tout le temps de voir venir l’événement. En attendant, il faut reconnaître les grands avantages que M. de Bismark retire d’une position exceptionnelle. Ces avantages sont au nombre de trois. Le chancelier de la confédération du nord a pour la direction du détail de sa politique extérieure l’abri et le prestige du secret des gouvernemens absolus ; en même temps, le but de sa politique paraissant satisfaire aux aspirations de deux patriotismes, celui de la Prusse et celui de l’Allemagne, il a les privilèges d’un ministre populaire qui peut s’appuyer sur l’assentiment et la complaisante docilité des masses nationales ; enfin le régime politique de la France luifournit une précieuse ressource. Le mouvement unitaire de l’Allemagne est fondé sur une réaction contre les ambitions passées de la France monarchique ; or nos institutions présentes sont, en ce qui concerne la politique étrangère, identiques à celles qui nous régissaient au temps de nos luttes avec l’Allemagne ; l’expérience historique peut donc être toujours présentée aux Allemands comme la justification de leurs vieilles défiances et des précautions qu’on leur montre dans une organisation nouvelle contre la menace d’un ancien péril. Nous fournissons ainsi nous-mêmes à M. de Bismark la confirmation du préjugé avec lequel il donne au mouvement unitaire de l’Allemagne vers la Prusse le concours d’un patriotisme aveugle. On peut prédire avec certitude qu’il y aurait une grande détente dans les ambitions de force matérielle qui animent l’Allemagne, et que la politique prussienne perdrait un de ses moyens d’action les plus efficaces le jour où cesserait la méprise à laquelle la forme de nos institutions donne lieu sur les dispositions naturelles et véritables de la France. La France, douée des attributions réelles de la liberté et pouvant dominer et régler la politique étrangère de son gouvernement, ne fournirait plus de griefs aux susceptibilités du patriotisme allemand. Les libertés seraient la garantie permanente de son