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la société. L’exemple était parti d’en haut : c’est en s’associant et en disciplinant leurs forces que l’aristocratie d’abord, puis la classe moyenne, avaient étendu leur influence dans l’état. Les workmen suivirent la voie qu’on leur avait tracée ; ils s’organisèrent. Beaucoup d’entre eux se rendaient d’ailleurs justice et savaient parfaitement qu’ils étaient inférieurs en instruction et en lumières à ce qu’on nommait par habitude dans la Grande-Bretagne ruling classes, les classes gouvernantes. L’espace de trente-cinq ans qui s’est écoulé entre le premier et le second reform bill a été mis à profit par les ouvriers anglais : ils ont combattu chez eux la misère, l’ignorance et d’autres causes de dégradation. Une grande partie de ce travail occulte a échappé aux hommes politiques s du royaume-uni, assez mal informés de ce qui se passe dans les couches profondes de la société. Ces mêmes ouvriers, dont on accusait le silence et l’abstention, entendaient d’une certaine manière leurs intérêts. Ayant beaucoup plus de confiance en eux-mêmes et dans leur système d’organisation appuyé sur des efforts personnels que dans des mesures légales dont ils saisissaient encore vaguement la portée, les travailleurs de la Grande-Bretagne concentrèrent toutes leurs espérances sur l’œuvre qu’ils avaient commencée. Dans un pays où la propriété est la racine des droits et de l’influence sociale, ils voulaient constituer leur importance avant de se mêler à l’agitation politique. Ayant vu d’assez près les classes ouvrières en Angleterre, je crois être à même de me faire une idée juste de leurs intentions. Quelle raison avaient ces braves workmen de se méfier d’un étranger ? Eh bien ! de leurs discours et de leurs actes il résulte pour moi une conviction, c’est qu’avant de prendre part à la lutte ils ont tenu à préparer leurs armes.

Qu’on veuille bien se rappeler l’opinion qu’on avait en France des ouvriers anglais sous le règne de Louis-Philippe. Ici même un économiste dont tout le monde regrette la perte, M. Léon Faucher, écrivait sur la triste condition du travail manuel au-delà du détroit des études que les lecteurs de la Revue n’ont sans doute point oubliées. Certes je ne crois nullement qu’il ait rien exagéré, et pourtant combien ces tableaux chargés de sombres couleurs ressemblent peu à la situation présente des soldats de l’industrie chez nos voisins ! Les écrivains anglais constatent eux-mêmes un grand changement à cet égard dans le sort des ouvriers[1]. Il s’est néanmoins trouvé chez nous des esprits absolutistes qui, opposant l’ancienne misère des classes laborieuses aux institutions constitutionnelles

  1. On peut consulter Progress of the working class, by J. M. Ludlow and Lloyd Jones, livre plein de faits, d’aperçus et d’idées, écrit par deux hommes de talent, l’un savant légiste, l’autre ancien ouvrier.