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dont jouit la Grande-Bretagne, ont voulu tirer de ce contraste un argument contre la liberté. Beaucoup d’ouvriers français, trompés par ce sophisme, ne virent de salut pendant un temps que dans un système de protection, et ils demandaient à l’état, quel qu’il fût, de les couvrir contre la concurrence. De telles illusions peuvent bien servir à un moment donné les projets de la dictature ou, du despotisme, mais elles ne sauraient tenir contre les faits. Si la lutte était nécessairement défavorable aux intérêts du travail, à coup sûr il y a longtemps que l’ouvrier anglais aurait été écrasé., Organisation du système de l’industrie, division des classes, rivalité des moyens de production, il a tout contre lui, et pourtant il résiste, il grandit tous les jours, que dis-je ? il commence à effrayer. Quelques-uns se plaignent déjà de ce qu’il fait la loi aux maîtres ; un pas de plus, et l’on assure qu’il serait à même de jeter, l’épée de Brennus dans la balance de l’état. Contre une aristocratie implantée dans le sol et entourée d’éclat, contre une classe moyenne ; très intelligente et concentrant dans ses mains une masse formidable de capitaux, quelles ont pourtant été les armes du workman ? Il n’en a qu’une la liberté. C’est par le droit de réunion, c’est au moyen de la presse et de la parole qu’il tient tête à toutes les autres influences. Au gouvernement il demande non point de le protéger, mais de le laisser faire par lui-même. Qu’a-t-il d’ailleurs besoin du secours de l’état ! Ces mêmes ouvriers d’outre-mer, qu’on représentait, il y a quelques années, comme les esclaves des machines, donnent aujourd’hui l’exemple et le mot d’ordre à la plupart des coalitions et des grèves. Quand les circonstances l’exigent, ils vont même jusqu’à offrir l’hospitalité de leur libre sol et de leurs libres institutions aux émissaires venus de l’étranger qui chez eux ne peuvent ni parler ni s’entendre sur certaines questions d’intérêt vital. Pour ceux qui se sont confiés dans les forces et les bonnes intentions du gouvernement personnel, la leçon est dure, mais décisive.

A quoi pourtant s’occupaient les travailleurs anglais durant les années qui suivirent le premier reform bill et qui précédèrent l’agitation politique de 1866 ? Loin de moi l’intention d’embrasser l’ensemble de leurs efforts, il suffira bien d’indiquer quelques traits essentiels. Un de leurs premiers soins a été de fonder entre eux des Sociétés de bienfaisance et de secours mutuels connues sous le nom général de friendly societies. Plusieurs de ces institutions existaient dès la première moitié du XVIIIe siècle, mais ce n’est guère que vers 1832 qu’elles prirent un développement considérable, Aujourd’hui ces friendly societies dépensent par an dans le royaume-uni plus de 3 millions de livres sterling (75 millions de francs) à soigner leurs