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organisation et de l’argent : avec de tels élémens, on peut agir ; mais les anciens règlemens leur interdisaient de s’occuper de politique. Une fois, il est vrai, elles avaient donné signe de vie à propos de la guerre civile des États-Unis. Durant tout le temps qu’avait duré la disette du coton, les ouvriers du nord de l’Angleterre s’étaient montrés héroïques. Quelle terrible crise ils avaient traversée ! à quelles épreuves cruelles avait été soumise leur patience ! Ils avaient donné au monde un grand exemple, non-seulement en supportant avec courage les horreurs de la faim, mais encore en résistant à de perfides conseils. Dans un moment où presque tous les journaux anglais avaient épousé la cause du sud et accusaient les états du nord d’être les auteurs de la misère publique jusqu’au-delà des mers, il fallut aux fîleurs du Lancashire un rare bon sens et un grand respect du droit pour ne point céder aux avis qu’on leur donnait de toutes parts. « Prononcez-vous, leur disait-on, encouragez le gouvernement de la Grande-Bretagne à seconder les confédérés, et le coton reviendra. » Leur réponse fut unanime : « non, point d’intervention. » En vérité ils songeaient moins à leurs propres souffrances qu’aux flétrissures de l’esclavage. Avant tout, cette grande injustice devait être réparée. Jusqu’au bout, ils suivirent avec une sympathie inébranlable pour les états du nord les chances d’une guerre qui les ruinait. Un tel dévouement, l’obstination avec laquelle des hommes mourant de faim sacrifièrent à un principe leurs intérêts les plus chers est dans l’histoire de ce temps-ci un fait assez rare pour qu’il mérite d’être signalé. Cette noble conduite rehaussa d’ailleurs le caractère du travailleur anglais, et fortifia chez lui le sentiment du devoir qui est le satellite du droit. Les ouvriers de Londres avaient été beaucoup moins atteints que ceux du coton district par la crise commerciale ; mais ils professaient en général les mêmes opinions et le même intérêt pour la cause des nègres. En avril 1863, un grand meeting des trades’ unionists de la capitale eut lieu dans Saint-James’s Hall. M. John Bright, avec son éloquence bien connue, et après lui quelques orateurs ouvriers, MM. George Howell, Odgers, Cremer, Conolly, dénoncèrent l’esclavage, ce drapeau sous lequel s’étaient enrôlés les ennemis de l’Union, comme l’opprobre des temps modernes. Une adresse fut envoyée à Abraham Lincoln, et, à part quelques penseurs et quelques journaux de la classe moyenne, les artisans furent presque les seuls dans la Grande-Bretagne qui durant cette longue lutte tendirent à leurs frères de l’autre côté de l’Atlantique une main amie.

Cette intervention des trades’ unionists de Londres à propos des affaires d’Amérique était un fait nouveau dans les annales du