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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


vouloir s’exiler de ces pieuses solitudes ; l’anthropomorphisme s’y glissait avec sa grossière intolérance malgré le bon sens des abbés et les interdictions violentes du patriarche. Or on n’apprit pas sans étonnement à Nitrie et à Scété que Théophile changeait de langage, qu’il était entré en rapport avec les anthropomorphites des couvens, et que, dans une lettre probablement concertée avec eux, il avait déclaré qu’à la rigueur, l’Écriture en main, on pouvait supposer à Dieu une voix, des yeux, des oreilles, un corps, puisque la Bible le disait, et que la Bible était la plus sûre des vérités ; dans cette même lettre, il s’élevait avec force contre les athées, qui osaient nier la personnalité divine. Il y avait là un revirement d’opinion fort surprenant, mais qui trouva bientôt son explication. Encouragés par cette déclaration, excités d’ailleurs par des manœuvres souterraines, les anthropomorphites devinrent de plus en plus provoquans, et la « guerre, suivant le mot d’un écrivain du temps, alluma ses torches dans le royaume de la paix. »

Sur ces entrefaites, Isidore, cassé de sa charge de grand hospitalier et condamné par un synode à la dévotion du patriarche, était venu se réfugier à Scété. Convaincus de son innocence, ses anciens compagnons de solitude étaient accourus pour le recevoir et soutenir son courage ; mais le vieillard, en revoyant les lieux qu’il avait habités aux jours heureux de sa jeunesse et où il rentrait frappé d’excommunication, sous le poids d’un jugement inique, restait plongé dans un morne désespoir. Les Longs-Frères, inquiets pour sa vie, allèrent solliciter du patriarche le pardon et la réhabilitation de leur ami. Le patriarche promit et ne fit rien. Ils revinrent à la charge, et avec une sainte liberté Ammonius, qui portait la parole pour eux tous, somma l’évêque de tenir son engagement, « car, disait-il, tu nous l’as promis ! » L’évêque, choqué de la fermeté de ce langage, s’écria qu’on l’insultait, et, appelant les soldats qui lui servaient de garde, il leur commanda de conduire le moine insolent à la prison de la ville. Les soldats obéirent, mais les trois autres moines déclarèrent qu’ils ne se sépareraient point de leur frère, que, si Ammonius était conduit en prison, ils voulaient aller en prison comme lui. Ils suivirent donc les soldats à travers les rues jusqu’au lieu où on détenait les criminels. Les habitans, à qui leur ardente charité était bien connue, crurent d’abord qu’ils allaient, selon leur habitude, distribuer des aumônes aux prisonniers ; mais, quand on apprit qu’ils étaient prisonniers eux-mêmes, une émotion très vive se fit sentir dans la ville. Des groupes nombreux se formèrent devant la prison, et de hauts personnages se rendirent à la geôle pour savoir de leurs yeux et de leurs oreilles ce que cette aventure signifiait. Alarmé de tout ce bruit, Théophile manda aux