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nouvellement affranchies. Le moyen de conjurer les maux réels ou imaginaires qui menacent, dit-on, les sociétés modernes n’est pas de faire la nuit sur une nation, c’est au contraire d’y appeler la lumière.

Pour l’instant, la reform league et les autres associations politiques se proposent surtout la conquête de quelques mesures destinées à compléter et à fortifier l’extension du suffrage. Un de leurs rêves est le ballot ou scrutin secret, que le plus grand nombre des démocrates anglais considèrent à tort ou à raison comme devant protéger la liberté des votes. La ligue de la réforme a d’ailleurs devant elle une rude tâche ; ne s’agit-il point déjà de préparer les élections ? C’est s’y prendre d’un peu loin, car à moins d’une dissolution imprévue le parlement doit encore vivre cinq années. Dans ce pays de lutte, où l’on attache avec raison tant d’importance à l’organisation des partis, la prévoyance est d’ailleurs une des vertus politiques. Surveiller la liste des électeurs, avertir et conseiller les ouvriers qui ne sont point encore familiers avec l’usage de leurs droits, les aider même, s’il le faut, à satisfaire aux conditions du nouveau système, tel est un des devoirs que s’impose la reform league. Cette association se distingue à coup sûr par une grande activité. Ses bureaux, qui se trouvent à Londres dans Adelphi-Terrace, une sorte de quai élevé sur la Tamise du côté des récens travaux devant donner au fleuve des rivages de pierre, consistent surtout en un rez-de-chaussée, dont les murs tapissés à l’intérieur d’affiches politiques et de placards indiquent assez clairement l’intention des chefs. De cet humble local partent de temps en temps des ordres du jour, des convocations de meetings et des appels à l’opinion publique. Il est évident que la ligue se ménage aussi le droit de choisir ou d’appuyer, quand il en sera temps, certaines candidatures. Ses membres les plus connus appartenant à la classe moyenne ou à la classe ouvrière s’exercent d’avance pour la lutte des hustings. Le vœu des travailleurs est sans contredit d’envoyer quelques-uns de leurs représentans à la prochaine assemblée, et tout porte à croire qu’ils réussiront dans un petit nombre de villes. En quoi après tout leur présence sur les bancs de la chambre des communes effraierait-elle le gouvernement ? L’Angleterre est le pays du monde où les classes supérieures entr’ouvrent le plus volontiers leurs rangs pour admettre les hommes recommandés par le talent ou désignés par le choix de leurs concitoyens. N’y a-t-il point plus d’un exemple d’ouvriers parvenus dans la Grande-Bretagne à une situation éminente ? Les députés du travail manuel, il est aisé de le prédire, seront accueillis avec honneur par les représentans de la fortune qui conserveront du reste vis-à-vis d’eux tous les