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tête. Si ce manifeste ne traitait que le sujet spécial dont je viens de parler, il suffirait de le résumer en quelques lignes, mais ce n’est pas seulement la langue magyare, c’est l’existence de la Hongrie, l’existence même de l’Autriche et ses conditions de salut dans l’avenir qui préoccupent l’âme prophétique de l’auteur. Qui donc avait révélé à Széchenyi les désastres futurs de l’Autriche, ces désastres qu’il ne devait pas voir et auxquels nous avons assisté l’an dernier ? Qui lui avait révélé cette grande chute dont les plus habiles ont été surpris ? Comment savait-il que l’Autriche serait menacée avant peu d’une décomposition générale, et que la Hongrie serait alors une des premières ressources de l’empire ? D’où lui venait cette clairvoyance extraordinaire ? De son culte de la Hongrie et de son attachement aux Habsbourg, éclairés par une étude précise des choses de l’Europe. Il faut traduire ces pages que réclame l’histoire.


« Les plus pompeuses paroles ne trouvent aucune créance quand les faits leur opposent un témoignage contraire. Que le système actuel de notre gouvernement soit en contradiction avec les intérêts et les vœux de la nationalité hongroise, c’est là ce qui ne saurait échapper à l’esprit le plus aveugle, et cependant notre nationalité, à nous Hongrois, nous est plus chère que tous les trésors du monde, plus chère même que la vie. Or, s’il reste une seule chose au milieu de nos ruines, — sans parler de la vitalité vraiment admirable de notre race, — s’il reste sur les ruines de la Hongrie une seule chose qui atteste que notre nation n’est pas éteinte, assurément c’est l’académie hongroise. Et maintenant il faut que cette institution véritablement nationale soit sapée à sa base, oui, sapée à sa base ! car le changement introduit depuis peu dans ses statuts fondamentaux, tel du moins que mon esprit le conçoit, n’est pas autre chose que le coup de mort.

« Torturé par des souffrances mentales indescriptibles, le cœur saignant, enterré tout vif pour ainsi dire, je me demande en cette situation désespérée : Que dois-je faire pour l’académie hongroise ? quelle résolution dois-je prendre, moi qui en 1825, fidèle à l’inspiration de nos pères, ai tâché de rendre la vie à notre langue nationale en fondant cet institut, et qui ai eu le bonheur de réussir dans mon entreprise ? J’ai réussi, dis-je, et réussi plus complètement que ne pouvaient le faire nos prédécesseurs, car, si cette haute pensée leur appartient, j’avais à ma disposition une plus grande somme de ces ressources financières sans lesquelles la conception l’a plus sublime ne peut se frayer sa voie. Faut-il me taire quand je vois écraser cette noble semence ? Puis-je oublier les services que ce facteur énergique était appelé à rendre ? puisse oublier que la race magyare, dont la robuste adolescence est attestée par tant de symptômes, même après les mortelles atteintes qu’elle a subies et à travers les dangers de sa condition présente, puis-je oublier, dis-je,