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que la race magyare, grâce à cette fondation, développant toutes ses facultés natives, était destinée par nous à devenir le plus ferme appui de la monarchie autrichienne, le soutien inébranlable du trône, et par cela même à enrichir la société humaine tout entière ? Je le demande, moi, dont le mal n’est pas une vague confusion d’idées, mais au contraire le don fatal de voir trop clair, trop net, et de ne me faire aucune illusion, puis-je me défendre de pousser un cri d’alarme quand je vois notre glorieuse dynastie, ensorcelée de je ne sais quels maléfices, s’acharner contre le plus vivace de ses peuples, contre celui à qui l’avenir réservait les destinées les plus grandioses, et non-seulement le mépriser, mais l’étouffer, lui enlever son caractère propre, l’accabler de mauvais traitemens, frappant ainsi à la racine l’arbre séculaire de l’empire ?

« Abandonner à l’honorable académie le règlement de la question présente, non, je ne le désire pas, je ne le veux pas, je n’y saurais consentir. Fondateur de cet institut, c’est à moi de parler aujourd’hui, quel que soit d’ailleurs mon respect pour la compagnie en général et pour la plupart de ses membres en particulier. Tant que ma tête sera droite sur mes épaules, tant que mon cerveau ne sera pas entièrement ravagé, tant que la lumière de mes yeux ne sera pas voilée par la nuit de la mort, je maintiendrai mon droit, et partout où j’aurai le droit de prendre une décision, acceptant d’ailleurs tout conseil sincère avec reconnaissance, je ne me déciderai en définitive que par ma raison propre.

« Ces prémisses posées, j’exprime sans ambages ma conviction inébranlable : notre glorieux empereur François-Joseph, il m’est impossible d’en douter, finira tôt ou tard par reconnaître que le but poursuivi en ce moment par ses ministres, l’assimilation, la germanisation de toutes les races dont se compose l’empire, n’est autre chose qu’un solennel contre-bon-sens, une amère mystification de l’Autriche par elle-même. Il finira par reconnaître qu’un grand nombre, que le plus grand nombre des peuples de l’Autriche gravite vers des centres étrangers, et que ce mouvement si périlleux pour la monarchie devra nécessairement s’accroître quand viendront les mauvais jours. Or ces jours-là, selon toute vraisemblance, ne tarderont pas à venir. Quelle est au contraire, dans cette dissolution générale, la situation du Hongrois ? Sans aucune affinité de race avec des nations étrangères, il n’a d’autre patrie que le paradis constitutionnel situé entre les quatre fleuves et les trois montagnes[1] ; c’est pourquoi il ne peut espérer, il ne peut chercher et trouver l’accomplissement suprême de ses destinées que sous l’égide de sa royale dynastie. Viennent donc les jours néfastes, et encore une fois j’affirme qu’ils viendront, l’empereur, éclairé et excédé tout ensemble par les expérimentations désastreuses qui ont jeté l’empire dans une voie si funeste, sera le premier défenseur des Magyars. Il ne permettra plus qu’elle soit affaiblie,

  1. Locution magyare pour désigner la Hongrie.