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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/906

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a conçu dans la douleur, les idées pour lesquelles il a si longuement souffert, souffert mort et passion, comme disait le vieux langage populaire, fournissent à l’Autriche en péril sa meilleure chance de salut. Ce n’étaient que les visions d’une âme folle, c’est aujourd’hui le seul refuge des sages. Qu’on se représente à la fois le Requiem célébré à Pesth le 30 avril 1860, et le couronnement de François-Joseph comme roi de Hongrie en 1867 ; la mémoire du vieux champion de l’autonomie hongroise pouvait-elle être plus complètement vengée ?

Tout n’est pas fini cependant. Rien n’est jamais fini dans les choses humaines. Une situation nouvelle amène de nouveaux devoirs ; à chaque jour sa peine et son labeur. Instruit par le malheur et conseillé plus sagement, l’empereur François-Joseph est rentré dans les voies de la justice et de la vérité ; que la Hongrie lui soit en aide ! Qu’elle reste fidèle à elle-même sans jamais se séparer des intérêts communs de la monarchie ! Qu’elle se garde surtout d’un certain orgueil de race qui lui fait dédaigner les autres peuples de l’empire ! Qu’elle ne contribue pas à pousser les Croates et les Tchèques entre les bras de la Russie ! Si l’expérience du système actuel démontre qu’une fédération vaudrait mieux que le dualisme institué par M. de Reust, qu’elle sache se contenter de sa part, sans vouloir opprimer d’anciens ennemis sacrifiés en ce moment comme elle le fut naguère. Hongrie, Rohême, Pologne, états indépendans et unis sous le sceptre des Habsbourg, tel est le programme de l’avenir. Contre les périls de l’Europe orientale, il n’est pas de sauvegarde mieux assurée. Une fois les Slaves autrichiens rétablis dans leurs droits, l’œuvre souterraine du panslavisme serait anéantie. Jamais sans doute le comte Széchenyi n’a formulé ces idées d’une manière aussi nette ; comment douter pourtant que cette inspiration ne fût la sienne ? Ne se rappelle-t-on pas avec quelle vivacité il reprochait à ses concitoyens de ne point respecter chez les Slaves ce sentiment du droit national qui faisait toute la force des Magyars ? En face des intrigues moscovites, le danger est bien autrement grand aujourd’hui qu’à l’heure où il tenait ce langage. Le danger de l’Autriche, le danger de toute l’Europe orientale, qui peut le nier ? c’est la propagande panslaviste. Or le solitaire de Döbling a répété mille fois qu’il fallait sauver la Hongrie pour sauver l’Autriche et l’Orient. Cela seul dit tout ; il n’y a plus qu’à tirer les conséquences du principe. Ce n’est pas la Hongrie régénérée qui déchirera le testament du comte Stéphan Széchenyi.


SAINT-RENE TAILLANDIER.