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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/944

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— Pauvre Ramsayl s’écria machinalement le bon Kilsyth ; mais l’instant d’après il en revint à sa lamentation habituelle : — My poor Maddy !… my bonnie lass ! my own childie ! — Chacune de ces plaintes allait au cœur de lady Muriel, et y ranimait l’impression cuisante d’un remords qu’elle n’avouera jamais.

Ils retournèrent peu après dans leur belle résidence des montagnes. Pour la première fois de sa vie, lady Muriel sentait fléchir son courage à l’idée de reparaître dans le monde. Ronald l’intimidait particulièrement, et d’ailleurs elle ressentait plus qu’elle ne s’y était attendue la perte de cette douce enfant, immolée par elle au souvenir de la promesse funèbre jadis obtenue par Stewart Caird.

Aujourd’hui tous ces personnages vivent encore. Kilsyth a repris en partie ses forces physiques, ramenées par l’air natal. Il a conservé ses habitudes viriles et chasse comme autrefois ; mais ses gillies étonnés ne retrouvent plus en lui la verve entreprenante, le joyeux élan de ce chieftain qu’ils suivaient avec tant de plaisir et d’ardeur.

Selon le vœu de Madeleine mourante et malgré la différence de leurs caractères, Chudleigh Wilmot et Ronald Kilsyth se sont étroitement liés. Le premier a vu s’éteindre l’étoile qui le guidait. Il marche dans une espèce d’obscurité avec deux sentimens très distincts : une angoisse inexplicable qui semble le menacer de quelque désastre inconnu, puis la notion d’un vide que rien ne saurait combler. Quant au second, il est resté inflexible et austère dans le chemin du devoir. Son avancement a été rapide et doit le porter jeune encore aux premiers rangs de l’armée. Il s’occupe beaucoup, aidé en ceci par Wilmot, d’améliorer les conditions hygiéniques de la vie des camps. À cette noble préoccupation se rattache sans doute le voyage que ces deux amis firent en Algérie dans le courant de l’année dernière. Une femme jeune encore les accompagnait, et cette circonstance tout à fait exceptionnelle fournissait de temps en temps quelque glose indiscrète aux officiers d’état-major ; mais en somme personne n’attachait la moindre importance à ces plaisanteries traditionnelles, et l’un de ces jeunes gens résumait exactement la pensée de tous quand il disait un jour en allumant sa cigarette : — Mistress Prendergast, à mon avis, c’est miss Nightingale, mais miss Nightingale réduite à ne soigner qu’un blessé. Le blessé, venant à guérir, l’épousera peut-être… Je serais pourtant bien étonné si le docteur Wilmot se mariait jamais.


E.-D. FORGUES.