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glissante, et il fut bientôt connu comme un des joueurs habituels du betting-ring.

Lady Muriel comprit alors pour la première fois de sa vie le néant de certaines fiertés. Par degrés insensibles, de complaisance en complaisance, de dissimulation en dissimulation, elle descendait, elle, la grande dame par excellence, au rôle le moins fait pour une femme comme il faut ; confidente unique d’un viveur et de ses obscures escapades, elle avait à pallier les désordres d’une vie honteuse, à trouver, pour les torts qu’elle ne pouvait tout à fait cacher, des excuses mensongères. Le sentiment de la responsabilité qu’elle avait assumée en mariant Madeleine à Ramsay Caird, la crainte des reproches qu’elle avait encourus et qu’elle lisait dans les yeux de son mari, de son beau-fils, de tous les amis de la famille, l’avaient réduite à cette pénible et dégradante extrémité.

Un jour cependant la patience lui manqua. Ce fut lorsque son protégé vint lui déclarer que des courses importantes où il avait engagé des capitaux considérables le mettaient dans l’absolue nécessité de partir immédiatement pour Paris. Or l’état alarmant de Madeleine, bien connu de tous, donnait à ce voyage, qu’il n’était pas facile de motiver, un caractère d’odieuse et révoltante inopportunité. Lady Muriel, forcée dans les derniers retranchemens de sa patience et profitant de l’occasion pour décharger son âme ulcérée, fit cette fois entendre à son jeune cousin une philippique à laquelle rien n’avait préparé les oreilles de ce malheureux. Aussi le révolta-t-elle de prime abord, et lui fit-elle proclamer son indépendance en termes assez peu mesurés. Réflexion faite cependant, il se calma, reconnut une partie de ses torts, demanda pardon à sa noble cousine, et finit, promettant d’ailleurs que cette absence serait la dernière, par donner suite à son projet de départ.

L’avant-veille du jour où Madeleine devait quitter ce monde, son mari passait le détroit en fort joyeuse compagnie. Le jour même des funérailles, on aurait pu le voir aux courses de Chantilly,… et le soir, victime d’un vulgaire accident, on le rapportait presque mort à l’hôtel Meurice, où il succomba quelques heures plus tard. Dans sa gerbe mêlée, le trépas, ce terrible moissonneur, venait ainsi de recueillir en même temps un bel épi blond du blé le plus pur et une misérable tige de folle avoine.

La nouvelle de cette triste aventure, transmise à Londres par un des compagnons de voyage de Ramsay Caird, arriva le surlendemain des funérailles de Madeleine. La lettre, adressée à Kilsyth, ne fut ouverte qu’au bout de quelques jours par ce pauvre vieillard, devenu indifférent à tous les intérêts de la vie. A peine se rendit-il compte de ce qu’elle renfermait. Il fit appeler Ronald, qui le lui expliqua sans manifester ni la moindre surprise ni la moindre pitié.