Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/10

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait une si grande part. Celui qui connaîtrait bien toutes les forces que le passé a engendrées pourrait aussi prévoir les résultats qu’elles vont produire dans l’avenir. C’est pour ce motif que l’étude de l’histoire est l’école des hommes d’état, et qu’on voit souvent des historiens devenir ministres et des ministres se faire historiens. Quelles sont donc les causes qui ont amené les transformations récentes que nous avons vues s’accomplir de l’autre côté du Rhin ? quels principes a consacrés la constitution de la confédération du nord de l’Allemagne ? cette constitution est-elle le couronnement de l’édifice de la nationalité germanique, ou bien l’ancienne confédération se reconstituera-t-elle sous une forme plus appropriée aux vœux populaires et aux besoins de l’époque, mais embrassant comme l’autre toutes les tribus de la race teutonne ? Voilà les points que nous allons examiner.


I

La cause du mouvement qui emporte maintenant l’Allemagne peut se définir d’un mot, c’est la passion de l’unité. À cette expression assez vague, voici le sens qu’il faut attacher. Les Allemands se sentaient unis par la langue, par l’origine, par la littérature, par la possession d’un territoire contigu, par les souvenirs de l’antique empire germanique, enfin par tout ce qui peut créer une nationalité compacte, et cependant ils n’étaient point parvenus à constituer un état avec un pouvoir central assez fort pour empêcher les guerres intestines, pour défendre la patrie commune contre l’étranger, pour favoriser le développement des forces matérielles et morales qui portent un peuple au degré de prospérité et de puissance auquel il peut atteindre. Ils se voyaient entourés de deux nations fortement centralisées, la Russie et la France. A côté d’eux, en Suisse trois races diverses, en Autriche dix nationalités, étaient reliées par une autorité unique, tandis qu’en Allemagne une nationalité unique était divisée en trente-trois états différents et souvent hostiles. Là, le pouvoir maintenait la paix et commandait à toutes les forces du pays, et l’Allemagne n’avait pour organe de ses intérêts communs qu’une assemblée assez forte pour arrêter tout progrès, trop faible pour se faire obéir, livrée aux tiraillements incessants des rivalités dynastiques, refuge des idées arriérées, débris du moyen âge plus débile que l’institution gothique dont elle était la copie, objet enfin de dérision pour ceux même qui la soutenaient, c’est-à-dire la haute diète de la sérénissime confédération germanique. L’Allemagne se croyait semblable, parmi les autres états, à un vaillant équipage naviguant sur un radeau formé de vieilles poutres à