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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/1037

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prononcée pour lui. M. Schmidt a fort à cœur de repousser, au nom de tous ceux qui, après avoir partagé les préjugés communs, se déclarent aujourd’hui les admirateurs de M. de Bismark, la qualification d’adorateurs du succès. Il serait injuste en effet de les ranger parmi ceux qu’un vil intérêt prosterne indifféremment devant tous les vainqueurs : ils n’adorent en M. de Bismarck que le succès de leurs idées ; mais ce succès a été obtenu par une politique qu’ils ont repoussée pendant longtemps comme une politique d’arbitraire, de ruse et d’oppression. On ne voit pas que le succès dont ils s’applaudissent ait pu changer le caractère de cette politique, et qu’il les autorise à la proclamer maintenant légitime et profonde. Ce qui nous intéresse bien plus que ce plaidoyer, ce sont les lettres particulières de M. de Bismarck à l’aide desquelles l’historien explique la métamorphose qui s’est accomplie dans les idées de cet homme d’état et retrace les phases diverses de sa conduite. Au premier rang parmi les champions des privilèges féodaux, un des chefs de la droite dans ce qu’elle avait de plus rétrograde et soutenant avec une vivacité voisine de la violence la politique extérieure de son parti, M. de Bismarck mérite par son zèle la reconnaissance de M. de Manteuffel, et entre en 1851 dans la carrière diplomatique. C’est alors seulement qu’il commence, à vrai dire, M. Schmidt nous l’affirme, son éducation politique, et c’est à l’Autriche qu’il la doit ; je regrette de ne pouvoir citer les termes d’une lettre de M. de Bismarck, écrite pendant qu’il était ambassadeur à Saint-Pétersbourg, et dans laquelle il raconte lui-même ce changement. Désormais adversaire décidé de l’Autriche, il entre en 1862 au ministère avec la pensée invariablement arrêtée d’arracher l’Allemagne intelligente à son joug. On se rappelle comment dès le début il excita l’espérance de quelques-uns et l’attente de tous, mais inspira en même temps une vive défiance au plus grand nombre. On put douter pendant plusieurs années si c’était un brouillon ou un homme d’état. L’année 1866 l’a fait passer en cinq jours au rang des grands politiques : la déchéance de l’Autriche dépouillée de toute influence en Allemagne, la confédération du nord fondée, la suprématie de la Prusse assurée sans conteste, des pierres d’attente qui promettent un prompt achèvement de l’édifice solidement posées, voilà sur quoi M. Schmidt et tant d’autres s’appuient pour lui décerner tout couramment un brevet de grandeur et de génie.

M. Schmidt termine, comme on devait s’y attendre, par un de ces appels à la concorde qui ne coûtent rien aux gens satisfaits. Il morigène comme il faut tous ceux qui se plaignent des procédés de M. de Bismarck ; les populations annexées, auxquelles il a d’une main qui n’est pas toujours légère appliqué le compelle intrare, n’ont qu’à se taire ou plutôt à s’applaudir. Nous voyons figurer ici le personnage merveilleux et souverain qui joue un si grand rôle dans l’argumentation des publicistes