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que grandir, et la royauté absolue du Talmud, qui commence avec l’ère des persécutions, finira probablement avec elle.

Dans l’intérêt des destinées futures du judaïsme, il est à désirer qu’il en soit ainsi, qu’en simplifiant sa loi si compliquée, si asservissante, en la ramenant aux grands principes du monothéisme et de la morale que le monothéisme suppose et entretient, le judaïsme abaisse le mur qui fait plus que de le distinguer, qui le sépare encore du reste du monde. Ce n’est pas seulement Rome ou Genève, c’est aussi Jérusalem qui a besoin d’une réforme, que d’ailleurs il ne faut pas confondre avec une destruction. Les faits prouvent que le judaïsme est capable de se perpétuer sous des formes bien différentes. Sacerdotal à l’origine, il est purement rabbinique depuis dix-huit siècles, et il n’en est pas mort. On sait que chaque année les Juifs de Jérusalem vont à certain jour pleurer le long d’un vieux pan de mur considéré comme le dernier débris du temple détruit par Titus. Assurément cette fidélité aux vieux souvenirs est poétique et touchante. Cependant je m’imagine que le judaïsme éclairé de nos jours serait bien embarrassé, si le sultan, reprenant le projet avorté de Julien, s’avisait de rebâtir le temple de Morijah pour le rendre aux descendans d’Aaron et au culte lévitique. Il y a décidément des choses qui ne sont à leur place que dans l’antiquité. Se figure-t-on de nos jours le grand-prêtre juif se présentant devant la foule la barbe toute ruisselante d’huile, un mari venant demander au sacrificateur de faire boire à sa femme de l’eau de jalousie, et de malheureux bestiaux égorgés tous les matins en l’honneur et à la gloire de Dieu ? Eh bien ! le judaïsme talmudique devra reculer à son tour devant la civilisation moderne comme le judaïsme sacerdotal a succombé sous les coups de l’empire romain. Le judaïsme monothéiste, moral, spiritualiste, restera. S’il entre avec décision dans cette voie, que plusieurs de ses enfans les plus éminens lui conseillent de prendre, le judaïsme se rapprochera beaucoup du christianisme libéral, qui, de son côté, par son unitarisme hautement avoué, ne peut plus soulever chez les Juifs la même répugnance que le christianisme orthodoxe avec sa doctrine de la Trinité. Y aura-t-il jamais fusion ? Ce n’est pas probable ; mais si à défaut de la fusion il y a entente et mutuelle estime, si la vie commune est facilitée et le libre échange des idées favorisé, si les sociétés religieuses déposent l’une après l’autre leur armure de guerre pour se vouer à l’œuvre de la paix et de l’universelle fraternité, il m’est impossible de voir ce que le sentiment religieux y pourrait perdre, et je sais bien ce qu’il y gagnerait.


ALBERT REVILLE.